CHAPITRE 10

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La nuit était tombée depuis fort longtemps. Il était à présent 21h30. Najma, dans son lit, dormait à poings fermés. Hassan, lui, lisait un roman d'espionnage intitulé "Le général à Singapour". Il l'avait acheté la veille et depuis, il ne dormait pas sans avoir lu au moins dix pages tant ce roman le fascinait. Il était tellement absorbé qu'il n'avait pas remarqué que Dalanda était sortie de la salle de bain en tenue d'infirmière : un chapeau blanc, une blouse blanche qui lui arrivait aux cuisses ainsi que des bas résilles de couleur blanche. Elle était divinement sensuelle et portait un parfum envoûtant.
- M. Hassan, comment trouvez-vous votre infirmière particulière ?
Il murmura un truc incompréhensible qui la laissa bouche bée. Elle s'était faite belle juste pour lui et il ne la regardait même pas.
- Hassan, regarde moi au moins!
- mais je te vois ma chérie, tu es sublime et en plus...tu sens très bon. Accorde moi une seconde s'il te plaît.
Elle fronça les sourcils. Elle ne le comprendra finalement jamais. Tantôt elle lui manque, tantôt c'est ce roman d'espionnage qui lui manquait. Elle sortit de la chambre en claquant la porte et attendit cinq minutes que celui-ci la rattrape. Une bonne dizaine de minutes plus tard, la porte ne s'ouvrait toujours pas. Lorsqu'elle prit la résolution de pénétrer dans la chambre, elle le trouva assis sur le lit, toujours en train de lire et le comble, il souriait. "Non mais il est sérieux là ?" Se demanda-t-elle. Elle poussa un juron et descendit s'assoir au salon. Tout ça...pour ça ? Elle n'avait qu'une envie, c'était de retirer ces vêtements et se plonger sous la couette pour un long sommeil. Tant pis pour lui s'il décidait de revenir vers elle, elle ne le regardera même pas.
Les heures s'égrenèrent et il ne l'appelait toujours pas. Dalanda tombait de fatigue et elle se résolut à aller se coucher. Lorsqu'elle entra dans la chambre, son mari était toujours au lit, les lunettes sur les yeux, le livre toujours ouvert et couché sur sa poitrine: il dormait. Dalanda sentait la vapeur lui sortir par les oreilles. "ah non, cela ne va pas se passer comme ça !". Elle se mit à tourner en rond dans la chambre comme si elle avait perdu quelque chose puis elle s'arrêta brusquement. Eurêka ! A pas feutrés, elle se dirigea vers son tiroir de chevet et y sortit une seringue. Une vraie seringue, c'était celle dont elle se servait pour faire ses mélanges de parfum. Elle referma le tiroir et alla au salon. Dans l'argentier qui se trouvait près de la table à manger, elle avait installé la boîte à pharmacie. Elle la sortit et y retira du coton et de l'alcool. Elle mit le tout dans un plateau en fer et repartit dans la chambre. Hassan dormait toujours. Elle s'approcha de lui et lui murmura doucement à l'oreille "chéri, réveille toi". Il ne bougea pas d'un pouce. Elle lui murmura à nouveau de se réveiller mais il se contenta de se retourner sur sa couche et ronfler. Cette fois ci, c'en était trop. Elle repartit au salon et fit sortir de l'argentier son haut parleur en espérant qu'il fonctionne toujours. Lorsqu'elle arriva devant la porte de la chambre, elle respira un bon coup. Elle risquait d'alerter le quartier mais c'était pour une bonne cause. En un coup, elle ouvrit la porte avec fracas et hurla dans le haut parleur "debouuuuuuuut là-dedans! Et plus vite que ça !!!"
Hassan se réveilla brusquement et tomba du lit.
- quoi? Qu'est-ce qu'il y a?
- il y a, cher monsieur, que votre infirmière que je suis, dois vous faire une injection!
Elle vint vers lui avec le plateau et le déposa sur la table de chevet. Elle saisit la seringue qu'elle tapota en l'air et le regarda avec un air à la fois moqueur et sérieux:
- ne vous inquiétez pas, vous n'allez pas ressentir trop de douleur.
- attends, c'est une seringue? Une vraie?
L'air apeuré de Hassan lui donna envie de rire. Néanmoins, elle s'efforça de rester sérieuse.
- mais bien sûr que oui, vous avez de la fièvre ! Et il vous faut une injection ! Allez, couchez vous sur le ventre et descendez votre pantalon.
- une injection sur le popotin? Non merci !
Il sortit précipitamment du lit et se mit à courir en direction du salon pendant que Dalanda lui courait après.
- mais ne courez pas dans les escaliers, cher patient, revenez!
Ils se mirent à tourner autour des fauteuils.
- Dalanda cesse de me courir après ! Je n'ai pas de fièvre, je vais bien.
- comment un patient peut savoir s'il va bien? Je suis l'infirmière alors laisse toi faire!
Dalanda pouffa de rire tellement que l'air paniqué de son mari était drôle.
- pourquoi tu ris?
- tu as vu ta tête ? A ton âge, tu as toujours aussi peur des seringues, ha, ha!
- parce que toi tu n'en as pas peur peut être ? Fit-il en croisant les bras.
- meuh non...je suis courageuse, moi, pas comme toi.
Hassan sourit et s'approcha de sa femme qu'il prit dans ses bras.
- tu as raison, tu es très courageuse. Et surtout très compréhensive. Ne me fais pas d'injection s'il te plaît.
- je ne t'en ferai pas mon chéri. Mais tu étais tellement occupé avec ton roman que tu ne m'as même pas regardée.
Il s'écarta d'elle et lui prit les mains:
- je savais que tu étais sublime, pas besoin de te regarder pour le savoir.
Elle baissa les yeux et se mit à rougir.
- beau parleur...
- non, je suis juste...très intelligent. Et hop!
Il lui arracha la seringue des mains. Elle le regarda les yeux ronds.
- mais qu'est ce que tu fais?
- juste retour des choses, c'est moi l'infirmier maintenant. Commence à courir car je serai sans pitié.
C'est en riant qu'ils se mirent à courir autour des fauteuils, Hassan s'efforçant d'avoir un air menaçant et Dalanda qui essayait de sauver la peau de ses fesses. Lorsqu'il réussissait à l'approcher elle criait très fort comme une petite fille surprise par un monstre, ce qui redoublait leurs rires. Elle montait les marches de l'escalier menant à leur chambre en courant et ouvrit la porte.
- Attention, je vais t'attraper! Fit-il en rigolant.
- n'y pense même pas, tu ne m'auras pas, ricana-t-elle en se retournant vers lui.
Puis, juste devant la salle de bain où gisait quelques gouttes d'eau, elle glissa, perdit l'équilibre et tomba. Sa cheville qui s'était tordue lui faisait atrocement mal. Hassan qui pénétrait dans la chambre à son tour la vit par terre, se tenant le pied et courut vers elle.
- Dalanda! Qu'est ce qu'il y a?
- aïe...je viens de me faire mal.
- comment?
- je suis tombée, je crois qu'il y a de l'eau ici...
- tout ça c'est ta faute, tu aurais du faire attention à là où tu mettais les pieds.
- ma faute? C'est toi qui me poursuivait avec la seringue, nom de Dieu!
Ils se fusillèrent du regard et tout d'un coup, ils éclatèrent de rire.
- laisse moi voir...
Il lui prit la cheville et entreprit de lui masser le côté endolori.
- tu as toujours mal?
- oui, surtout quand tu appuie...
- tu veux que j'appelle un médecin ?
- mais non, tu es fou...il se fait tard. Où veux-tu avoir un médecin à cette heure ?
- il doit bien en avoir un qui est de garde.
- c'est toi qui m'as mis dans cet état, c'est à toi de t'occuper de moi! Voilà !
Il la regarda malicieusement et le désir qu'elle lut dans ses yeux la fit rougir. Elle les baissa instantanément.
- pourquoi tu fuis mon regard? Murmura-t-il doucement en lui caressant tendrement le bras.
- tu sais bien que j'ai honte, fit-elle en se cachant les yeux.
Sa réponse le fit rire aux éclats.
- ah Dalanda, quand je pense que c'est moi qui suis considéré comme immature. Viens par là...
Il la souleva dans ses bras comme s'il se fut agi d'une nouvelle mariée et vint la poser sur le lit. Il alla éteindre toutes les lumières du salon et revint la voir. Il s'approcha d'elle et la serra contre lui.
- tu veux que je te chante une berceuse pour faire passer la douleur?
- non je veux autre chose.
Son regard intense suffisait à Hassan pour comprendre. Il éteignit la lumière avant de l'étreindre passionnément.

Ce sont les rayons du soleil qui la réveilla. Dalanda battit doucement des paupières et ouvrit les yeux. Le soleil était déjà haut dans le ciel. Ses yeux se posèrent sur l'horloge murale. Il était 7h55. Elle s'étira longuement et sourit en repensant à la nuit qu'elle avait passé. Parfaite, comme toujours. Une odeur d'omelette lui parvint et lui chatouilla les narines. La place de Hassan était froide. C'était sûrement lui à la cuisine. Elle se leva et alla dans la salle de bain pour se brosser les dents et se laver le visage. Quand ce fut fait, elle descendit en robe de chambre à la cuisine où elle le trouva en train de faire le petit déjeuner.
- ça sent bon par ici...
- tu es déjà debout ma chérie ?
- oui, l'odeur de ta bonne cuisine m'a tirée du lit. Qu'est ce qu'on mange?
- omelette à base d'oeuf, de jambon, de persil et d'épices, tout ce qu'il faut pour ravir tes papilles.
- hmm...j'en ai déjà l'eau à la bouche.
- assieds-toi, ça sera prêt dans une minute mon amour, fit-il en lui faisant une bise sur le front.
Elle s'assit en bâillant. Puis on sonna à la porte.
- qui ça peut bien être à cette heure? Demanda Dalanda.
- je n'en sais rien.
- bonjour, m'man! Je vais ouvrir!
Najma traversa la pièce en une fraction de seconde et vint ouvrir la porte. Sur le seuil, se tenait Syra, la mine défaite.
- Syra...? enfin tu es venue me voir.
Elle voulut la prendre dans ses bras mais cette dernière la repoussa avant de lui donner une claque.
- mais qu'est ce qui se passe? S'écria Hassan qui avait suivi la scène depuis la fenêtre de la cuisine.
- qu'est-ce qu'il y a? Qui est à la porte?
Elle suivit son mari jusqu'à la terrasse où elle tomba sur la dispute entre sa fille et sa meilleure amie.
- pourquoi tu as fais ça, Syra?
- tu sais très bien pourquoi! Comment tu as osé accuser mon frère d'une chose aussi abominable? Par ta faute, il a disparu et il se cache. Il n'est pas rentré depuis plusieurs jours. Tu es satisfaite?
- Syra, laisse moi t'expliquer...
- tais toi, traîtresse ! Je croyais que tu étais ma meilleure amie, mais tu n'es ni plus moins qu'une sale menteuse ! Tu devrais avoir honte! Mon frère est une personne bien et par ta faute, toute notre famille est déshonorée !
- Syra, crois moi ...c'est ton frère qui m'a violée... Pourquoi je mentirais sur lui?
- à toi de me le dire! Tu sais quoi? Je ne veux plus rien entendre venant de toi! Tu me dégoûte. La réputation de mon frère est salie tout ça à cause de toi ! Je te déteste !
Najma se mit à pleurer, tant les mots durs de son amie la faisait souffrir.
- tu m'arrêtes ces larmes de crocodile!
- et toi, arrête de dire ce que tu ne sais pas! Intervint Dalanda prête à en découdre avec Syra.
- je suis morte de rire. Parce que vous pensez connaître mon frère mieux que moi?
- moi, je sais qu'il existe des loups recouverts de peaux d'agneau.
- moi je suis sûre que votre fille a beaucoup plus à se reprocher. Qui vous dit qu'elle n'a pas provoqué son viol?
- Syra...
Najma parla d'une voix si faible, les yeux larmoyants.
- je vais t'apprendre à respecter les autres, petite effrontée !
- non, Dalanda!
- vous devriez écouter votre mari, ma tante. Monsieur Hassan, tenez votre femme en laisse. Je n'hésiterai pas à lui montrer de quel bois je me chauffe car je suis prête à tout quand il s'agit de ma famille!
Et quant à toi...
Elle se tourna vers Najma qui continuait à pleurer.
- tu as intérêt à ce que mon frère revienne. Ou tu auras affaire à moi!
Elle sortit et claqua la porte. Najma retraversa la pièce comme la première fois, en une fraction de seconde mais cette fois, en pleurant à chaudes larmes.
- Najma! Attends!
Peine perdue. Elle entra dans sa chambre et referma la porte brutalement.
- laisse là Dalanda...
- mais...
- laisse là, s'il te plaît. Elle a besoin de se calmer.
Il l'entraîna vers la cuisine et l'obligea à s'assoir. Dalanda se prit la tête entre les mains. Comment Syra osait traiter sa fille de cette façon ? " Tout ça c'est de la faute de Moctar. Il va me le payer cet imbécile! ". Elle se demandait comment montrer à Syra que son frère n'était pas celui qu'elle croyait.
- Dalanda...
Elle sursauta.
- mange, sinon ça va refroidir...
- je n'ai plus l'appétit, Hassan...
- efforce toi. Après on ira parler à Najma...
Dalanda soupira. Elle commençait à avoir des céphalées rien que de réfléchir à comment faire ouvrir les yeux à Syra. Elle n'avait qu'une envie: écorcher vif Moctar pour qu'il réalise l'ampleur du dégât qu'il a causé.

Répression sanglanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant