CHAPITRE 6

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Cela faisait un mois que Dalanda était au chevet de sa fille. Un mois de tristesse constante au cours de laquelle elle assistait, avec désespoir, à la dégradation de la santé de Najma. Elle refusait de s'alimenter, se réveillait en plein milieu de la nuit et pleurait à cause de cauchemars incessants; elle ne parlait pas et avait toujours le regard perdu, comme une personne dont le corps était présent mais l'esprit était ailleurs.
Le médecin avait annoncé la douloureuse nouvelle au couple Mevi: leur fille avait été battue avant d'être violée. Et cette expérience désastreuse lui avait fait subir un traumatisme qui nécessitait qu'elle soit prise en charge par un psychologue et qu'elle soit gardée encore un moment en observation.

Dalanda déposa le bol de bouillie de riz qu'elle tenait près de la lampe de chevet. Najma n'avait prit que quelques cuillerées et déjà, elle n'en voulait plus.
- ma chérie, s'il te plaît, tu dois manger encore un peu. Regarde comme tu es toute amaigrie...
Najma ne répondit pas, et tourna la tête en direction de la porte. Hassan venait de les rejoindre.
- comment vas tu ma fille? Demanda-t-il en passant la main dans ses cheveux.
Elle ne répondit pas encore, le regard dans le lointain. Dalanda soupira, abattue.
- je ne sais plus quoi faire Hassan...elle refuse de parler, elle refuse de manger...c'est comme si elle se laissait mourir...j'ai si mal de voir notre fille dans cet état...
- non ma chérie, ne te décourage pas. Elle ira mieux dans quelques temps. C'est à nous d'être patients et de prier pour qu'elle se rétablisse, elle a plus que jamais besoin de nous en ce moment...ce n'est pas le moment de se laisser aller au désespoir. D'accord?
Il lui fit une bise sur le front.
- tu devrais rentrer à la maison prendre une douche et te reposer, tu n'as pas dormi de la nuit; tu dois être épuisée...
- je suis épuisée en effet mais je ne veux pas rester loin de ma fille...
- je suis aussi son père, tu l'as oublié ? Je peux prendre soin d'elle, moi aussi...
- excuse moi mon chéri, tu as raison...tu as parlé avec la police ? Que disent-ils à propos de l'enquête, ça avance?
- pas vraiment...ils n'ont aucun suspect en vue et ils ont décidé de classer l'affaire.
- mais ils n'ont pas le droit! S'écria-t-elle. Ma fille s'est fait malmenée par un psychopathe et parce qu'ils n'ont pas de suspect, ils veulent classer l'affaire ? Et le procureur alors? Pourquoi il ne se saisit pas de l'affaire ?
- Dalanda, calme toi s'il te plaît, nous sommes dans un hôpital...
- non, je ne me calme pas! Aujourd'hui ma fille est clouée dans un lit d'hôpital parce qu'un dégénéré l'a prise pour cible et tu me demande de me calmer? Il n'y a donc pas de justice dans ce pays ?!!!
La porte s'ouvrit laissant apparaître une infirmière, la mine défaite :
- madame, s'il vous plaît, veuillez faire moins de bruit.
- excusez nous madame, ça ne se répétera plus, dit Hassan en reprimandant sa femme du regard.
L'infirmière repartit et Dalanda se laissa tomber sur la chaise en pleurant. Hassan la prit dans ses bras et la serra contre sa poitrine. Puis on toqua à la porte. Lorsqu'ils se retournèrent, ils aperçurent Syra, la mine triste, arrêtée sur le pas de la porte.
- bonjour ma tante...je suis venue voir Najma, comment va-t-elle ?
- je ne sais pas quoi te dire Syra...juge par toi même...elle ne dit rien, ne mange rien...j'ai si mal, déclara-t-elle en reniflant.
Syra s'approcha de son amie et lui prit la main. Celle-ci tourna la tête et la regarda, mais demeura silencieuse.
- Najma...tu ne sais pas à quel point je suis triste de te voir ainsi... j'ai du aller à la compétition toute seule, sans toi...mais j'ai une bonne nouvelle pour toi qui, j'espère, t'aidera à aller mieux.
Puis elle sortit de la chambre. Dalanda et Hassan se regardèrent surpris et Dalanda tint la main de sa fille dans la sienne. Lorsque Syra revint, elle avait le sourire aux lèvres :
- tu es prête ?
Najma la regarda sans dire un mot.
- tu peux entrer, fit Syra, joyeuse.
Un jeune homme entra dans la pièce avec un trophée dans les mains. Lorsque Najma le vit, elle ouvrit des yeux ronds et planta ses ongles dans la main de sa mère.
- nous avons gagné la compétition ! Nous sommes les premiers au niveau national! Notre rêve s'est concrétisé.
Najma commençait à suffoquer, comme si elle avait des problèmes de respiration.
- Najma...Najma! Qu'est ce qui t'arrive? Sursauta Dalanda qui se précipitait vers elle.
Najma s'aggripa aux cols de sa mère en regardant le jeune homme avec un air apeuré. Puis pour la première fois, elle ouvrit la bouche :
- maman, sauve moi! Sauve moi!
Elle se mit à pleurer tout en regardant le jeune homme qui se demandait ce qui n'allait pas.
- Hassan, vas appeler le médecin !
Il s'exécuta immédiatement. Dalanda essaya de rassurer sa fille mais celle ci devint comme folle et se mit à se débattre violemment dans le lit.
- Najma! Najma! Calme toi!
Le médecin arriva en courant et demanda à tout le monde de sortir. L'infirmière administra un sédatif à Najma qui finit par se calmer et s'endormit. Il sortit retrouver Dalanda et les autres dans la salle d'attente :
- elle dort maintenant, laissez la se reposer.
- Docteur, qu'est ce qui lui est arrivé? Pourquoi elle était si affolée ?
- je n'en sais rien mais je crois qu'elle a dû penser ou voir quelque chose en rapport avec l'expérience douloureuse qu'elle a vécu.
Il partit et Dalanda se rassit.
- je pensais que ça lui ferait plaisir de voir le trophée...
Dalanda se retourna et aperçut Syra, la tête baissée, l'air triste.
- ne lui en veux pas, elle n'est pas encore totalement rétablie. Tu devrais rentrer à la maison. Je te tiendrai informée de son état...
- elle a raison Sysy... rentrons, déclara le jeune homme.
Ils se levèrent et se retirèrent. Dalanda demeura pensive pendant au moins 15 minutes. Hassan qui était allé discuter avec le médecin revint bientôt et s'assit près de son épouse.
- qu'est ce qui te tracasse Dalanda?
- tu ne trouve pas étrange que Najma ait fait une crise de panique dès qu'elle a vu Moctar ?
Hassan haussa les épaules.
- tu tire des conclusions hâtives. Ce n'est qu'une pure coïncidence...
- je ne crois pas. On était là et elle n'a pas réagi. Syra est entrée, elle demeurait toujours froide. Mais à peine Moctar a fait son entrée que...
- je crois que tu es vraiment épuisée et que la fatigue te fait délirer. Rentre à la maison te reposer un peu, on se voit plus tard.
Dalanda sortit de l'hôpital, perplexe. Elle ne savait pas ce qu'elle devait croire. Était-ce une coïncidence comme le disait son mari? Ou détenait-elle une piste pour retrouver le bourreau de sa fille?
Elle monta dans sa voiture, referma la portière et mit la tête sur le volant. Elle ne savait plus où donner de la tête. Ces événements de ces derniers temps l'avaient tellement bouleversé qu'elle se demandait si ce n'était pas juste un cauchemar. Elle était fatiguée mais elle était déterminée à retrouver et punir celui qui avait fait ça à sa fille mais pour l'instant, il fallait qu'elle rentre se reposer pour avoir les idées claires. En moins de 45 minutes, elle accédait à l'entrée de la maison. Après avoir garé le véhicule, elle monta directement dans sa chambre se débarbouiller. Peu après, elle entra dans la chambre de sa fille. Elle était restée telle qu'elle était depuis le jour du drame. Elle entreprit d'y faire un peu le ménage. Elle commença par balayer et nettoyer le sol, les fenêtres, retirer les toiles d'araignées. Puis elle rangea chaque fourniture scolaire à sa place. Elle nettoya chaque coin et recoin de la chambre avant de s'attaquer au lit. Elle retira le drap et les housses d'oreillers et les mit dans le panier à linge. Elle mit un drap propre et au moment de le fourrer, sa main heurta un objet plat. Elle souleva le matelas et découvrit sous le sommier un cahier de couverture noire.
- qu'est ce que ça peut bien être ?
Elle tapota le cahier pour retirer la poussière et l'ouvrit. C'était marqué en lettres majuscules "JOURNAL INTIME".
- Najma a un journal intime? Et je ne l'ai jamais su...
Dalanda se sentit un peu trahie. Elle croyait que la complicité entre elle et sa fille ferait que Najma n'hésiterait pas à lui faire part de ses secrets les plus intimes. Cependant, ce n'était pas le plus important maintenant. Elle s'assit sur le lit et ouvrit le cahier à la dernière page.
"J'ai très peur de Moctar. Il ne manque pas une occasion de me brutaliser, comme si je lui appartenais. D'abord il me crie dessus, ensuite il me fait mal au bras. J'ai toujours aussi mal au bras et j'ai du appliquer des glaçons et une crème pour faire passer la douleur. Heureusement que maman n'a rien remarqué..."
- Je savais que ce Moctar était louche mais comme toujours, on ne me croit pas.
Elle poursuivit sa lecture.
"...je fais tout pour l'éviter mais cet hypocrite joue la victime et me fait passer pour la méchante ; et maintenant Syra s'en prend à moi et croit que je déteste son frère. A bien y réfléchir, je commence à le détester. Car ce n'est ni plus ni moins qu'un manipulateur et un menteur.
Il fait croire à Syra que je le déteste sans aucune raison et il ose même faire la trêve en m'offrant des chocolats parce qu'il "m'apprécie beaucoup". Non mais sérieux...
Je n'ai encore rien dit à maman. Elle ne me croira pas. Syra non plus...je crois que je vais affronter cela toute seule, comme une grande.
Et pour commencer, j'irai à son rendez vous ce soir et je lui dirai tout ce que je pense de lui et de ses chocolats. Il prétend m'aimer et il m'offre des trucs que je déteste..."
Un rendez-vous dans la soirée ? Dalanda lut la date qui était marquée en début de page. C'était la veille du jour où le corps de Najma avait été retrouvé. Dalanda crut que le ciel lui tombait sur la tête. Ce jeune homme qu'elle admirait tant avait osé s'en prendre à sa fille et ne s'était même pas gêné de passer la voir à l'hôpital ?
- Nana a raison...quel hypocrite. Mais ça ne se passera pas comme ça!
Sans perdre une seconde, elle se changea rapidement et prit la voiture en direction du commissariat. A son arrivée, elle se dirigea vers la réception, survoltée :
- où est le commissaire ?
- où vous croyez vous madame? Rétorqua la réceptionniste avec un regard hautain. Nous sommes dans un commissariat ici, pas dans un marché. On ne vous a pas apprit la politesse ?
Dalanda sentit son sang faire un tour. Elle garda son sang-froid pour ne pas flanquer une baffe à cette jeune femme.
- écoutez moi, madame. Quand vous aurez une fille et qu'elle se fera tabasser et violer et que les membres de la police décideront de classer l'affaire sans suite pour défaut de preuve, à ce moment là, revenez me parler. En attendant, descendez de votre piédestal. Insolente!
Elle ouvrit la bouche choquée pendant que Dalanda s'éloignait. Elle avait repéré le commissaire qui sortait de son bureau.
- Monsieur le commissaire, j'aimerais vous parler, c'est très important.
- Mme Mevi, si c'est par rapport au cas de votre fille, je...
- je vous en prie, écoutez moi. Vous voulez un suspect pour rouvrir le dossier? J'en ai un. Et j'ai même des preuves, s'il vous plaît, acceptez de me recevoir.
Face au regard suppliant d'une mère en détresse, il lui demanda de le suivre dans son bureau.
- asseyez-vous. Et racontez moi ce qui se passe.
- je rangeais la chambre de ma fille ce matin et j'ai découvert son journal intime sous son lit. Évidemment, je l'ai ouvert et je l'ai lu. La dernière fois qu'elle a écrit dans ce cahier remonte au jour du drame. Tenez, lisez par vous même.
Elle lui remit le cahier. Il l'ouvrit et le parcourut attentivement.
- excusez moi madame mais ça ne veut rien dire. Rien ne dit que ce...Moctar est coupable.
- quoi? Vous plaisantez! Se leva-t-elle, en colère.
- calmez vous et écoutez moi. Oui, il a déjà usé de violences sur votre fille mais rien ne nous dit qu'il lui a vraiment fait ça. Qui vous dit qu'elle ne se serait pas faite agressée avant de le rencontrer? Ou même après ?
Je suis désolé, mais ce journal ne prouve rien. Et rouvrir le dossier sur la base de telles allégations peuvent vous porter préjudice si après l'enquête il se trouve que vous aviez tort. Il pourra vous poursuivre pour diffamation et fausse accusation.
Dalanda se rassit, hébétée. Elle demeura silencieuse pendant une quinzaine de minutes puis se leva, prit son sac et se dirigea vers la sortie.
- je suis vraiment désolé, madame...
- vous n'avez pas à l'être !
Elle sortit précipitamment et rejoignit sa voiture. Pendant qu'elle conduisait, les larmes lui perlaient sur les joues. Elle était convaincue que Moctar était l'auteur du viol de sa fille. Et elle allait faire éclater la vérité : il allait l'avouer, de gré...ou de force.

Répression sanglanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant