CHAPITRE 1

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La nouvelle de la mort de Djalia s'était répandue comme une traînée de poudre. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, un attroupement s'était formé devant l'enceinte du siège de l'ONG Espoir". Il était 9h. Dalanda, la responsable, était assise dans son bureau et classait ses dossiers lorsque son assistante entra promptement dans le bureau:
- madame Dalanda, il y a urgence!
- qu'est-ce qui t'arrive Noria? Pourquoi es-tu si essoufflée ?
- au moins une vingtaine de femmes se sont regroupées devant le portail. Elles veulent à tout prix entrer, vous ne les entendez pas crier ?
Dalanda fit signe à Noria de se taire puis prêta l'oreille. Il lui semblait effectivement entendre des plaintes, et des grincements de porte.
- mais que se passe-t-il ? Noria, vas ouvrir et fais les entrer dans la cour.
- mais ce sont des femmes en furie, vous voulez qu'elles me piétinent après que j'aie ouvert la porte? Je tiens à ma vie, madame.
- tu auras droit à des funérailles grandioses et une décoration à titre posthume puisque tu seras morte dans l'exercice de tes fonctions.
Surprise par son propre ton sérieux après avoir dit ces paroles, Dalanda éclata de rire. Noria se retira en boudant. Bientôt, elle ouvrait le portail et toutes les femmes présentes se ruaient pour entrer, tout en continuant à se plaindre bruyamment. Dalanda sortit de son bureau et vint se placer sur la véranda.
- s'il vous plaît, un peu de silence mesdames, commença Dalanda. Pourquoi tout ce vacarme?
- nous en avons plus que marre, trop c'est trop! S'écria une femme.
- nous sommes fatiguées de tant d'injustice, ça suffit maintenant ! Renchérit une autre.
Et le brouhaha reprit de plus belle. Dalanda n'avait pas la force de s'égosiller pour réclamer le silence. Elle envoya Noria chercher son haut parleur et lorsque celle ci revint avec l'objet demandé, elle l'activa.
- mesdames, je vous en prie. Pouvons nous parler calmement? Que se passe-t-il ?
- madame Dalanda, nous n'en pouvons plus, commença une femme, choisie comme porte parole. En un mois nous avons enregistré tellement de violences à notre égard. Tantôt une femme battue, tantôt une femme violée. On ne peut même pas marcher dans la rue sans craindre de se faire agresser. Ces hommes n'épargnent personne. Avant-hier, ma propre soeur a perdu la vie à cause d'un homme qui l'a battue à mort; il n'a même pas eu pitié pour l'enfant qu'elle portait...pour une stupide histoire de sauce trop salée...
Ses larmes se mirent à couler malgré elle... évoquer ce moment ravivait la douleur qu'elle ressentait. Les autres femmes présentes, prises de compassion, essayèrent de la consoler. Après s'être essuyée le visage avec un pan de son pagne, elle reprit la parole, la voix tremblante:
- et hier, ma nièce que j'avais envoyé faire le marché a échappé à une agression en pleine journée. Heureusement, elle s'en est sortie avec des bleus au visage et au bras, Al hamdullilah, rien de bien grave. Qu'avons-nous fais pour mériter ça?
Elle se remit à pleurer. Sa voisine répliqua :
- Djalia, une femme si bonne que nous connaissions toutes s'est fait battre sauvagement par un mari qui ne supportait pas les plaintes de sa femme quant à ses infidélités répétées avant de se faire poignarder. Pendant combien de temps encore nous allons subir les assauts de ces hommes? Il faut agir. Nous voulons leur tête !
Les cris reprirent. Dalanda était choquée. Elle essaya tant bien que mal de les rassurer que ces moments ne seront bientôt plus que des mauvais souvenirs. Elle les renvoya chez elles, en promettant trouver une solution pour palier au problème.

Dalanda avait rejoint son bureau depuis plus de 10 minutes et cela faisait 10 minutes qu'elle avait le regard perdu. Les doigts entrecroisés, elle cogitait sérieusement. Cette vague de violence l'inquiétait. Depuis qu'elle avait créé cette ONG, elle recevait de nombreuses femmes qui venait chercher réconfort auprès d'elle après avoir subi des violences notamment physiques de la part des hommes. Combien avait-elle soutenu psychologiquement, financièrement, juridiquement ? Les femmes de la communauté n'hésitaient jamais à la contacter pour briser le silence sur leur vécu quotidien. Et c'était ça le but de l'ONG Espoir. Écouter, conseiller, assister.
Aujourd'hui elle faisait face à une situation différente. Les femmes de la communauté étaient arrivées au stade où elles voulaient voir les hommes mourir. Elle devait faire quelque chose avant que la situation ne dégénère encore plus.
- maman ...tu m'entends ?
Dalanda sursauta. Elle aperçut le visage inquiet de sa fille Najma.
- Najma...que fais-tu ici, pourquoi tu n'es pas à l'école ?
- on nous a demandé de rentrer parce que l'enseignant de MATHS est souffrant. Tu vas bien ? Tu m'as l'air triste...
- tout va bien ma chérie.
Dalanda examina sa fille de plus près, comme si c'était sa première fois de la voir. Najma était une belle adolescente de 14 ans, même si son physique lui en donnait 16 . Elle avait une taille moyenne, une poitrine et des hanches généreuses. Sa croissance physique précoce avait incité sa mère à l'inscrire dans un lycée islamique. Le port de l'uniforme ample et du voile rassurait Dalanda : sa fille ne risquait pas de voir poser sur elle des regards pervers et malsains. Dalanda soupira.
- rentre à la maison te changer et prépare le déjeuner.
- mais maman je veux rester avec toi encore un peu, s'il te plaît...
- n'insiste pas. Ton père rentrera ce midi et le repas doit être prêt à temps. Allez, oust...
- pourquoi tu ne lui dis pas de venir rester avec toi ici? Répliqua-t-elle boudeuse.
- je rêve ou tu chasse ton père de sa propre maison? Demanda Dalanda, amusée.
Najma émit un sourire gêné. Sa mère secoua la tête, un sourire au coin.
- disparais Najma et plus vite que ça. J'ai du travail. On se verra ce soir.
Najma bouda un peu puis saisit son sac à dos sur la chaise et se dirigea vers la porte où elle croisa Noria. Elles se saluèrent puis Najma continua sa route pendant que Noria apportait un café à Dalanda.
- vous voulez autre chose madame?
Dalanda garda le silence un moment. Puis elle prit la parole:
- assieds-toi, j'ai un projet en tête ; dis moi ce que tu en pense...

Répression sanglanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant