Neal vient poser une fesse sur mon bureau, il a repris le travail voilà deux semaines à présent. Il a attendu que James soit autorisé à rentrer chez eux et que Kelly prenne ses marques pour reprendre le chemin du Cabinet. Je trouve toujours cela injuste qu'une maman se retrouve seule avec son nourrisson, qui plus est prématuré, mais ainsi va la société. Qu'est-ce qu'une naissance dans une vie ? Il en arrive tous les jours, pas de quoi arrêter l'économie, n'est-ce pas ?
Etre un nouveau papa et assurer au travail ne semble pas évident non plus. Très égoïstement, je suis ravie de son retour. Un poids s'est comme envolé de ma poitrine. Sans préciser qu'il est très agréable de travailler avec mon frère lorsque mon père n'est pas dans les parages. Neal n'a pas encore adopté Asling, ce qui me chiffonne un peu, et me fait douter de mon choix. Je coule un regard vers ma nouvelle recrue. Neal pourra toujours choisir de ne pas prolonger son contrat le jour où je m'en vais. Mais j'espère qu'il saura apprécier le jeune homme et ses compétences.
― Amy, tu as vraiment fait du bon boulot pendant notre absence, me dit Neal.
― Qu'est-ce que tu crois ? Je suis la pro de l'organisation, merci d'en avoir douté !
― Non, mais je ne sais pas si tu te rends compte de tout ce que tu as dirigé ? C'est impressionnant... Tu es une très bonne avocate. Et gestionnaire.
Mon frère m'observe un instant, se masse la nuque, semble hésiter sur ce qu'il va dire.
― Si tu voulais... on pourrait s'associer ? Si papa ne revient pas ?
― Neal... Je vois où tu veux en venir. Ne fais pas ça, s'il te plait.
― Ok, désolé. J'aurais au moins essayé.
Il a un air contrit, mais je sais qu'au fond de lui, il comprend. J'ai décidé de rester jusqu'à l'été, à la fermeture annuelle du Cabinet. Mais ensuite, je prendrai mon envol. Je n'ai toujours aucune idée de ce que je veux faire. Le doute et les angoisses m'assaillent toujours par moment, mais moins que d'envisager de rester. Mes parents, surtout mon père, n'acceptent absolument pas ma décision, qu'ils qualifient de folie passagère. Mais peu importe à présent.
― Est-ce que je peux abuser et prendre un jour ou deux de repos ? Il y a quelque chose que je dois faire, demandé-je.
― Ah ? Je comprends. Ok, on se débrouillera.
― En fait, j'aurai aimé partir demain, dis-je en fixant mes pieds.
― Qu'est-ce que tu manigances encore Amy ?
Je lui tire la langue comme toute réponse, et sort du bureau le plus vite que je peux tout en ayant l'air naturelle. Très immature, je le sais, mais je ne me sens pas prête à répondre à des questions dont je n'ai moi-même pas encore les réponses.
Lorsque je rentre chez moi le soir même, je suis ravie de retrouver mon chat qui m'attend, même s'il me casse les oreilles en miaulant, même s'il met des poils partout, même s'il me fait trébucher... Je râle en lui servant ses croquettes mais je ne saurais être plus heureuse de son retour. Je l'ai pris comme un présage, que tout irait dans le bon sens à présent.
Je caresse sa fourrure soyeuse, un grand sourire aux lèvres. Je suis terrifiée de ce que je m'apprête à faire, comme un saut dans le vide mais je n'ai jamais été aussi déterminée. Je balance quelques vêtements dans un sac et programme mon réveil pour demain, je vais devoir me lever tôt. Leagh m'a promis de passer nourrir Stumble, j'espère qu'elle s'y tiendra !
Lorsque mon réveil sonne à l'aube le lendemain, j'ai le sentiment de ne pas avoir fermé l'œil de la nuit. Je m'extirpe de sous les draps chauds et une bouffée d'adrénaline me prend. Je m'apprête à faire, soit le truc le plus fou, soit le plus débile de mon existence. Trois quart d'heure plus tard, je suis prête à rejoindre le taxi qui m'attend au pied de l'immeuble et me mène droit à l'aéroport.
Alors que mon avion décolle en direction de la capitale londonienne, je griffonne quelques croquis sur mon carnet pour me détendre. Je finis par m'endormir le front collé contre le hublot, bercée par le brouhaha environnant. Dans mon sac, j'ai un ticket pour le spectacle du soir. Je ne sais pas trop à quelle réaction m'attendre. Ce voyage est purement égoïste en somme. J'ai besoin de comprendre.
Il me faut quelques temps pour me repérer une fois arrivée à l'aéroport d'Heathrow, une heure et quart plus tard. Je n'ai pas vraiment pris la peine de faire du repérage avant d'arriver. Je me retrouve par conséquent paniquée, à chercher l'adresse sur mon portable, puis à essayer de me repérer sur le plan du métro. Si on était dans un film Hollywoodien, la scène serait filmée d'en haut et je me ferais l'effet d'une fourmi perdue dans la foule.
Mais je ne vis pas dans un film, et pour l'heure je suis complètement perdue dans la capitale au milieu de ladies et gentlemen à l'accent pointu. Je réalise que je n'ai vraiment pas l'esprit aventurier ; sortir des sentiers battus me déstabilise complètement. Comment font ces gens qui se sentent partout chez eux, moi qui me sens dépaysée à une rue de chez moi ? Je respire longuement, pour faire descendre mon anxiété et décide de demander mon chemin à une personne non loin de moi.
Grâce aux indications, je trouve finalement la bonne ligne de métro. Mais je ne pousse un soupir de soulagement qu'une fois mon sac posé dans ma petite chambre d'hôtel. J'ai déjà la sensation d'avoir été au bout de mes limites alors comment affronter la suite ? Un coup d'œil sur mon portable m'indique que je n'ai plus que cinq heures avant le concert.
J'ai deux options... Me rendre à son hôtel et tenter de le voir avant le spectacle. Ou le voir après. A présent que je suis là, je sens que je me dégonfle et cela m'énerve presque. Je n'ai pas fait tout ce chemin pour faire marche arrière ! Encore une fois, je ne vis pas dans une comédie romantique, je suis tétanisée. Où est ma course poursuite vers l'élu ? Je me sens ridicule. Je ne suis pas venue déclarer ma flamme, juste... juste quoi ? Le voir ? Lui parler ? Je ne sais même plus.
Je me décide finalement pour la première option, je ne pourrai pas attendre plus longtemps. Une photo du groupe a été postée sur les réseaux sociaux, devant l'entrée du bâtiment où ils logent. J'ai effectué mes recherches et je suis à présent en possession de l'adresse. Je me fais l'effet d'une traqueuse en bonne et due forme.
Je prends un peu de temps pour me préparer. Intentionnellement, je mets beaucoup de noir autour de mes grands yeux acier et laisse mes cheveux lâchés. Je grignote un petit morceau, mais la faim n'est pas vraiment là. J'ai le ventre et la gorge noués. Puis je ressors dans le froid et l'inconnu. Je ne suis pas très loin à pied, aussi je décide de marcher vers ma direction. Mon cœur bat à tout rompre lorsque je passe la porte d'entrée de son hôtel.
Je n'ai pas besoin d'échafauder un plan diabolique, car la personne qui est l'objet de tous mes tourments se trouve assise dans une des banquettes au fond du hall d'entrée. Il est entouré des membres du groupe et son bras repose sur l'épaule d'une jeune femme brune qui rit aux éclats. Je me fige sur place, le sang semble avoir quitté mon corps, ce qui est une drôle de sensation.
Puis, je fais volte-face et reprends la direction de la sortie. Soudain, alors que je suis presque dehors, je sens une main sur mon épaule.
-Amy ? s'étonne une voix à l'accent français que je connais bien.
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Prendre son envol
General FictionAmy, avocate en Irlande, travaille dans le cabinet familial "O'Donnel & Associés", aux côtés de son père et son frère. Son avenir est réglé comme du papier millimétré, tout a été planifié et pensé. Sa famille gère sa vie professionnelle et même priv...