Le lundi matin arrive bien trop vite à mon goût. Hier soir, avant de partir de chez ses parents, j'ai confié à Joey la dispute que j'avais eu avec mon père. Il m'a conseillé d'arriver tôt, de faire profil bas et de m'excuser, ce que je compte bien faire, même si cela me coute. Je suis donc arrivée sur les coups de sept heures. Et un mug de thé fumant à côté de moi, je m'attèle à rattraper le retard pris vendredi. Il ne reste qu'une semaine avant la fermeture du cabinet pour les vacances de Noël et j'ai quelques échéances à respecter.
Un déclic d'une porte qui s'ouvre se fait entendre, et mon estomac fait un soubresaut. Je souffle de soulagement en voyant que ce n'est que mon frère Neal qui vient d'entrer dans le bureau. Il pose sa veste à la coupe stylée sur le rebord de la chaise, il a sa tête des mauvais jours.
― Content que tu sois revenue à la raison. On ne savait même pas si on allait te revoir ce matin, me balance-t-il.
Son ton et sa remarque me prennent par surprise et me déçoivent. Je reste abasourdie. J'aurai pensé que Neal me soutiendrait. Je ne peux même pas répondre tellement l'amertume emplit ma gorge.
― Y'en a marre Amy de tes sautes d'humeurs. Papa était furieux vendredi. Et tu as laissé passer le weekend sans même avoir l'idée de t'excuser ?! Mais tu joues à quoi ?
Sa question me secoue et me donne le courage qui me manquait pour lui répondre.
― Alors, je serai censé le laisser me parler comme à un chien ? Lui aussi pourrait venir me présenter ses excuses. Je bosse comme une dingue ici depuis le début sans aucune reconnaissance. J'ai le malheur de ne pas me sentir bien en ce moment, et on en fait tout de suite une montagne ? Je ne suis pas une machine, vous me gonflez à la fin !
― Ah parce qu'il te faudrait le tableau d'honneur à chaque fois ?
― Mais de quoi tu parles ? Arrête Neal ! Je parle juste de dignité là, je ne demande pas des lauriers, juste qu'on me traite normalement !
― Oui ben t'as intérêt à te reprendre là parce que c'est l'équilibre de la famille et du cabinet que tu ébranles.
Je reste bouche bée. Il me lâche un dernier regard noir, récupère sa veste et sort de mon bureau. Je suis vraiment décontenancée par cette conversation. Ma première réaction serait de reprendre mes affaires et repartir loin. Loin, très loin. Une colère sourde monte en moi. Tout le discours préparé la veille dans ma tête pour mon père vient de s'envoler en fumée. A présent, je les imagine tous, hier, assis à la table familiale alors que je n'étais pas là. En train de déblatérer dans mon dos. Les absents ont toujours tort, n'est-ce pas ? Cette pensée me met dans une rage folle.
Depuis des années, je ne fais pas de vagues, je suis le chemin qu'ils ont tracé pour moi, sans me poser de questions. Puis le jour où je doute, loin de m'aider, ils m'enfoncent la tête plus bas que terre. Mais quel genre de famille est-ce là ? Neal m'a vraiment déçue sur ce point, il a toujours été un grand frère bienveillant, je ne comprends absolument pas sa réaction.
La journée se passe, sans que personne ne vienne me déranger. Je serai un fantôme que ça serait la même chose. Il me semble que mon père plaide aujourd'hui, ce qui expliquerait son absence, mais j'aurai pensé qu'il viendrait me confronter. Je me concentre sur mes dossiers pour tenter de donner une normalité à cette journée. J'attends que tout le monde soit parti pour enfin quitter l'endroit. La nuit est tombée. Je me sens seule, je me sens triste.
Mes espoirs de réconciliation de ce matin sont partis en fumée, il ne me reste que l'amertume et la déception. Je me traine hors du cabinet jusque chez moi. Je m'arrête en chemin récupérer des sushis comme à mon habitude. La clochette de l'entrée de la boutique tinte à mes oreilles lorsque je passe la porte du minuscule restaurant à emporter.
― Madame Amy, me salue M. Fujiwara en souriant, quel est ce chagrin en vous ce soir ?
Ah, toujours perspicace lorsqu'il s'agit de lire mes sentiments. Peut-être est-ce aussi pour cette chaleur humaine que je pousse la porte, soir après soir ?
― Ma vie part en déconfiture... Mon travail, la famille... Même dans mon cœur c'est n'importe quoi.
― « Demain est demain. Aujourd'hui est aujourd'hui » me répond le vieil homme expert en citations.
― Le problème, M. Fujiwara, c'est que demain me semble loin et aujourd'hui un jour sans fin.
― Plus jeune, mon père avait pour habitude de dire : « Sept fois à terre, huit fois debout ». Il ne faut pas craindre le malheur Madame Amy, parce que c'est la base du succès.
― Merci beaucoup, vous êtes mon rayon de soleil ce soir, M. Fujiwara.
― Je vous aime bien Madame Amy, mais je vous vois trop souvent. Je sens que vous vous perdez sur de mauvais chemins. Regardez au fond de votre cœur, vous avez déjà toutes les solutions, il suffit juste d'ouvrir les yeux.
Je repars ce soir avec mes sushis mais également avec un peu de soleil et du baume au cœur. Il a peut-être raison, il y a des évidences que je refuse de voir. Je ne sais pour quelles raisons. Probablement parce que j'ai peur... Peur de vivre mes désirs, peur qu'on me dise « Mais tu te prends pour qui ? ».
J'en ai marre de errer dans ma vie, suivant des chemins qui me semblaient les bons mais qui ne m'ont menés qu'à un cul de sac. Tout ça parce que je n'ai pas réussi à écouter mon instinct.
Mais si c'était si simple, cela se saurait n'est-ce pas ? Car nos actes ont des conséquences, on peut blesser du monde en chemin. En attendant, c'est moi qui suis blessée, à trop suivre une route indiquée par d'autres. Pour le moment, je ne suis pas sûre d'assumer les conséquences de mes choix, tout ce que cela pourrait impliquer. Je veux juste être moi. Sauf que j'ignore qui je suis.
Je me sens tellement lasse, tellement fatiguée. Je n'aspire qu'à de la tranquillité. La semaine de travail qui m'attend encore avant la fermeture du cabinet me semble comme une montagne à gravir. Je ne peux me confier à personne, je trahis Joey en pensant à un autre, ma famille me prend pour une fainéante et une lâche. Lorsque j'entre chez moi, mon seul réconfort est d'enfouir mon nez dans la douce fourrure de Stumble.
― Tu ne me juges pas toi hein ?
― Miaou.
― Je t'aime tellement, boule de poils.
― Miaou.
Stumble sait toujours quoi me dire pour me réconforter.
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Chapitre un peu plus court aujourd'hui, ce sont les chapitres écrits pendants le Nano (challenge d'écrire 50k en 1 mois en novembre!)
Je vais continuer de poster tous les jours jusqu'au 1er janvier, ensuite je vais ralentir, il me restera quelques chapitres sous le coude mais je n'ai pas encore écrit la fin... Je sèche depuis début décembre sur la fin que j'ai envie d'écrire! C'est trop difficile! Alors... A vos hypothèses....
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Prendre son envol
Fiksi UmumAmy, avocate en Irlande, travaille dans le cabinet familial "O'Donnel & Associés", aux côtés de son père et son frère. Son avenir est réglé comme du papier millimétré, tout a été planifié et pensé. Sa famille gère sa vie professionnelle et même priv...