Je ris de manière presque nerveuse, mon soulagement est intense... Assise à une table d'un salon de thé en compagnie de Drissa, je laisse l'apaisement me gagner. La petite flamme que je vois dans les yeux de mon demandeur d'asile est ma récompense. La plus belle des récompenses. La juge a accepté qu'il reste sur le sol irlandais. Il a obtenu le statut de réfugié. Bien sûr, ce n'est que provisoire, il a droit à un visa de séjour temporaire d'une année. Mais il peut envisager de travailler à l'aide de ce visa.
Pour fêter ça, j'ai emmené mon petit protégé boire un verre. Enfin, vu l'heure matinale, nous voilà attablés devant le fameux muffin chocolat banane et une tasse de chocolat chaud chantilly tellement énorme que nous allons en être écœurés pour le reste de la journée. Le sourire de Drissa en dit long sur son soulagement.
Il prend ma main et tente de me dire quelque chose, mais sans l'aide de l'interprète, qui nous a laissé après l'audience, cela s'avère compliqué. Une idée traverse mon esprit.
― Attends, dis-je avant de prendre mon téléphone.
Je parcours le web à la recherche d'une application de traduction. Je me surprends de ne pas y avoir pensé plus tôt ! Je sais qu'il peut lire et écrire. « Que veux-tu me dire ? » je tape dans la case dédiée à la langue anglaise. Je lui montre la liste des langues dans la partie traduction et il plisse les yeux, à la recherche de sa langue natale. Son visage s'éclaire lorsqu'il la trouve et me l'indique du doigt. Je clique sur « Traduction » et lui tend mon téléphone afin qu'il lise le texte qui s'affiche maintenant dans sa langue.
« Merci » s'affiche. Je lui souris. Puis, il tend la main pour reprendre mon téléphone.
Un semblant d'hésitation passe sur son visage. Il me regarde, puis décide de taper son texte. Il est très concentré. Puis il me rend l'appareil, non sans appréhension et je peux lire : « Je suis désolé, je n'ai pas été honnête avec toi. Je ne suis pas homosexuel ».
Je ne sais pas pourquoi, je ne suis pas surprise, c'est donc ce que j'écris, j'ajoute également « Mais quelle est ton histoire Drissa ? ». Ses épaules s'affaissent lorsqu'il lit mon message. Il semble cependant déterminé et se met à écrire frénétiquement.
« Ma mère est gravement malade. Les médicaments sont chers dans mon pays. On ne peut pas payer l'hôpital pour l'opération. Mon père m'a choisi pour la sauver. Je dois envoyer de l'argent. Pour les médicaments et pour nourrir ma famille ».
J'ai un coup au cœur en lisant son texte. Mes préoccupations actuelles, mes hésitations professionnelles, mon mal être me semblent tellement insignifiants face à son histoire. Une de ses phrases m'interroge, son père l'aurait choisi ? Je lui demande d'éclaircir ce point.
« Je suis l'ainé de la famille. C'est à moi de les aider, c'est mon rôle. »
Pendant une bonne heure, je lui pose mille questions et il me répond. Je vois par moment la gêne traverser les traits de son beau visage ou la peine. Il a tellement dû souffrir, se retrouver dans un pays étranger, seul loin des siens à dix-huit ans à peine, investi d'une mission quasi suicidaire. Pour lui, il a échoué, un mois s'est écoulé et il n'a pas pu envoyer d'argent, sa mère est peut-être déjà trop malade pour la soigner à présent.
« Et les photos ? » je demande. Il m'a quand même fourni des photos de lui dans des situations sexuelles plus qu'explicites. La honte passe dans ses yeux. Une mise en scène, m'explique-t-il. Puis il me tend encore le téléphone : « Cela me dégoute, mais je n'avais pas le choix ». Il me toise à présent, me mettant presque au défi de me moquer de lui ou de le juger.
« Et les traces de coups sur ton visage ? » je demande encore.
« Mon père et mon frère m'ont frappé pour rendre notre histoire plausible. »
Je me lève et fait le tour de la table. Je le serre contre moi. C'est la seule réponse que j'ai trouvé. Tous les mots que je pourrais prononcer me semblent vains. Son corps se laisse aller contre moi et une larme coule sur sa joue. C'est un gamin, juste un gamin.
*****
J'ai redéposé Drissa au centre d'asile. Il va falloir qu'il se trouve un autre logement d'ici peu et je sais déjà que je ne laisserai pas abandonné à son sort. Ma famille n'approuverait jamais ma démarche, au fond de moi je sais qu'ils n'ont pas tort, je dois prendre de la distance. Sauf que voilà, je ne sais pas faire. Dois-je complètement renier ma personnalité pour être avocate ?
J'arrive assez tard dans l'après-midi au Cabinet. Mon père fonce droit sur moi et referme la porte de mon bureau derrière lui :
― Où étais tu Amy ?
― A l'audience pour mon demandeur d'asile. Il a obtenu son statut de réfugié, je l'informe.
― C'était ce matin ça, Amy ! Où étais tu?
― Il avait besoin de réconfort, dis-je en fixant le sol.
― Du réconfort ? Du réconfort ??!! s'étrangle mon père. Tu crois peut être que tes affaires vont se résoudre toutes seules ici ?!
― ...
― La secrétaire a dû prendre je ne sais pas combien d'appels te concernant, des clients attendent des réponses ! Il va falloir te ressaisir Amy, je ne sais pas ce qui t'arrive en ce moment...
Je reste silencieuse à ses remontrances, pourtant une émotion enfle en moi jusqu'à prendre toute la place.
― J'ai juste envie de vivre, je murmure.
― Comment?!
― J'ai juste envie de vivre, je répète un peu plus fort.
― Vivre ? dit-il me regardant comme si je parlais une autre langue.
― Oui papa, j'ai envie de vivre.
Cette fois, ma voix est plus assurée et j'ose le regarder. Sa moustache frémit de colère.
― Il y a les week-ends pour ça ! La semaine je te demande de travailler, pas de réconforter des réfugiés ! C'est clair ?!
― Je ne vis jamais. Le soir je travaille, le week-end je travaille, ou je mange chez vous... Je n'ai PAS DE VIE !
J'ai crié les derniers mots. Je suis abasourdie par ma véhémence, j'en perds mon souffle... Mon père a l'air de s'être pris une claque.
― Désolée, je dis encore avant d'attraper mon manteau.
― Amy, si tu passes cette porte.... gronde-t-il.
Je n'attends pas d'entendre la fin de sa phrase, je me précipite vers l'extérieur, le cœur battant à tout rompre... Je suis passée maître dans la fuite dernièrement.
Je fais alors une chose stupide, mais c'est la seule qui me vient à l'esprit. Je me dirige vers l'hôtel où je sais que loge son groupe de rock. Je n'ai aucune idée de ce qui me pousse dans cette direction. Je suis encore sous le coup de la dispute avec mon père et l'adrénaline coule dans mes veines.
― Bonjour, dis-je à la réceptionniste de l'hôtel où je viens d'entrer, je cherche M. Kylian Roche.
Elle cherche dans son registre clients et me sourit.
― Je le préviens que vous êtes là ? Mademoiselle... ?
― Amy O'Donnel. Oui, merci.
******
Héhé, je crois que mes publications vont peut être bien être quotidiennes jusqu'au 31.....
Affaire à suivre...
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Prendre son envol
Fiksi UmumAmy, avocate en Irlande, travaille dans le cabinet familial "O'Donnel & Associés", aux côtés de son père et son frère. Son avenir est réglé comme du papier millimétré, tout a été planifié et pensé. Sa famille gère sa vie professionnelle et même priv...