Ca se dessine

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 J'appose les dernières notes à ma plaidoirie et appuie sur sauvegarder. Je ne suis pas mécontente du travail que j'ai réalisé sur le dossier de demande d'asile de Drissa. Reste à espérer maintenant que cela sera suffisant. J'ai détaillé point par point les persécutions qu'il encoure dans son pays, du fait de son homosexualité. Il a été plusieurs fois victime de violences qui ont failli lui couter la vie. Sa famille entière est contre lui. Aimer les garçons, ou en tout cas, dévier du « droit chemin » semble être un péché dans son pays. Toutefois, ce sont les faits qu'il a bien voulu me confier. Je reste persuadée de ne pas avoir toutes les clefs en main, que quelque chose m'échappe.

La partie est loin d'être gagnée mais je connais la juge que nous allons rencontrer demain, elle est réputée pour être plutôt conciliante sur ce genre de cas. Contrairement à la dernière fois, j'ai insisté pour obtenir une audience privée et non commune. Seule la réputation du cabinet m'a permis d'obtenir cette faveur. Je déteste faire ce genre de choses habituellement, mais je ne recule devant rien pour mon petit protégé.

Je passe ce matin une dernière fois au centre d'asile, accompagnée d'un traducteur interprète. J'ai conscience d'avoir peut être dépensé trop d'énergie et de moyens dans ce dossier, mais je me sens investie d'une mission. Comme un défi personnel. Je ne me sens pas le droit de décevoir Drissa une nouvelle fois. Je ne me cache pas que la boule au ventre de perdre cette audience est bien présente, mais je ne veux rien lâcher.

Le mois de décembre est arrivé, apportant avec lui les premiers flocons de neige. J'aime beaucoup cette période de l'année, la magie qu'elle apporte. Une envie de se blottir dans un plaid chaud, un thé à la main et un tome de « Harry Potter » dans l'autre. Même si en grandissant, je ressens plus le poids des obligations que le côté féérique. Qui cuisine quoi ? Quel cadeau offrir à qui ? Je crains toujours de tomber à côté, de ne pas être assez bien.

Je redoute tellement, que j'achète systématiquement mes cadeaux à la dernière minute, dans le stress le plus total. Ma mère a déposé ce matin un sac entier de décorations bleu et argent, parce que c'est la mode cette année :

― Ma chérie, ton sapin doit absolument être bleu et argent, c'est tellement joli. Le rouge et or c'est démodé, voyons !

Je l'ai posé dans un coin de chez moi, sachant pertinemment que je ne décorerai pas mon appartement avec. Je me reconcentre sur le visage cuivré de Drissa :

― Tu as bien compris ce que tu dois répondre ?

― Oui, je compris bien, acquiesce-t-il en anglais

Je ne peux m'empêcher de ressentir une bouffée de fierté, comme une mère poule devant ses poussins. Il a appris seul quelques mots d'anglais à l'aide de mon petit dictionnaire. L'interprète lui redonne toute fois les principaux axes de défense qu'il doit suivre, dans sa langue maternelle. Je décèle à nouveau l'espoir dans ses yeux bruns et j'aime ça. Après m'être assurée une nouvelle fois que tout le monde connait son rôle, je le salue et lui donne rendez-vous demain. Je vois la pointe d'appréhension dans son regard et je lui serre fort les mains avant de partir, comme pour lui insuffler ma force.

Je prends le tramway et me dirige vers mon prochain rendez-vous. J'ai les mains moites à l'idée de ce qui m'attend. J'ai la sensation de faire un saut dans le vide, mais d'une bonne manière. Je passe le portail de l'école d'art de Leagh et la voit qui m'attend sous le porche d'entrée, son bonnet sur la tête et les joues rougies par le froid. Ma petite sœur... A quel moment est-elle passée de cette petite fille joufflue et canaille à la jeune femme devant moi ? J'ai tellement été peu présente et focalisé sur mon travail que je me rends compte que je n'ai pas partagé grand-chose avec elle.

― Trop contente que tu sois là Amy !

― Moi je ne sais pas trop, je crois que j'ai un peu la trouille...

― Ça va bien se passer, rie-t-elle.

Je la suis dans les longs couloirs et une fois encore, l'odeur familière de peinture et de crayons gras me prend au nez. Je la respire de tous mes poumons. Je me sens excitée comme une gamine, mais j'ai la trouille au ventre. Leagh m'invite à déposer mes affaires sur une chaise dans un coin de la pièce et me dirige vers une longue table de bois composé d'un panneau posé sur des tréteaux. Dessus, une immense feuille blanche et vierge.

― T'as réfléchi à quelque chose déjà ? me demande ma petite sœur.

― Non... pas vraiment...

Je pose ma main sur le papier blanc et ferme brièvement les yeux.

― Kelly et Neal sont assez simples mais sophistiqués, je pense qu'il faudrait partir sur quelque chose de pur. Puis c'est une chambre de bébé, il ne faudrait pas surcharger. Je vois des couleurs pastels, dans un délié pour que ce soit plus doux, peut être partir sur un thème de nuages ou quelque chose comme ça ?

― Et ben, rie carrément Leah, pour quelqu'un qui n'a pas réfléchi à la question, tu sembles quand même savoir ce que tu veux dessiner.

Je rougis vivement à sa remarque. L'inspiration m'est venue spontanément, sans réfléchir. Je visualise le petit berceau au centre de la chambre et voit très nettement un ciel étoilé et paisible. C'est peut être cliché pour une chambre d'enfant mais je veux que ce bébé soit entouré de rêves et de douceur. Leagh pose sa main sur mon épaule.

― C'est une super idée Amy. On s'y met ?

― Mais ? Tu ne veux pas proposer aussi une idée ?

― Non, j'adore la tienne. On peut essayer, et changer si ça ne nous plait pas ?

J'acquiesce non sans ressentit une certaine appréhension. Leagh s'empare d'un crayon gris et se place devant l'immense feuille blanche. Délicatement, elle dessine le berceau rapidement à main levée et les contours de la chambre. Je prends à mon tour un crayon et le taille minutieusement, sentant revenir de vieilles sensations oubliées. J'esquisse le décor que j'ai en tête et nous voilà toutes les deux concentrées sur notre but. Je remarque que c'est la première fois que je dessine avec ma petite sœur. Nous travaillons d'un seul cœur, d'une seule main, sans se concerter.

Je relève la tête, les mèches de mes cheveux encadrent mon visage et je les repousse derrière mes oreilles. Un sourire se forme sur mes lèvres alors que je regarde le résultat de notre travail, satisfaite. Leagh pousse un soupir :

― Whaou ! Amy, c'est juste magnifique....

― Tu as dessiné aussi Leagh.

― Je sais mais... Whaou quoi !

Je passe la main dans mon cou, gênée...

― Bon, y'a plus qu'à montrer ça aux deux tourtereaux, voir s'ils approuvent notre projet.

― Si Neal trouve quelque chose à redire, je lui décalque la tête, dit Leagh d'un ton sans appel.

Je ris tout en enroulant précautionneusement la feuille de dessin. Leagh me passe un élastique afin que je l'entoure. Ma sœur remet son bonnet sur ses mèches blondes et son sac en bandoulière. J'attrape mes affaires également.

― On va manger ensemble ?

― Avec plaisir !

Je lui saisis le bras, me sentant en harmonie avec moi-même. Une nouvelle complicité vient de se créer entre nous, quelque chose de précieux. Et alors que nous sortons dans le froid toutes les deux, j'ai le sentiment de ne plus être seule.



*****

Petit chapitre intermédiaire mais qui a son importance... Si vous êtes sages alors je posterai tous les deux jours pendant la période des vacances!! Car nous arrivons dans le mois de décembre dans mon histoire et je trouverai ca drôle que ca coïncide avec la réalité.

Faites du bruit!

Prendre son envolOù les histoires vivent. Découvrez maintenant