Chapitre 7 - Partie 2

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Il était vingt-et-une heure passée, presque trente, lorsque je me plantai devant la devanture usée du vieux restaurant.

J'hésitai. J'hésitais vraiment à entrer. Une énorme boule me serrait la gorge alors qu'un poids comme de la fonte, au fond de mon estomac, me le comprimait. J'avais salement les pétoches. De quoi précisément ? Aucune idée. Sans doute un mélange de plusieurs choses. L'angoisse de faire face à Owen. La peur que ma colère ne remonte. Ma haine contre Rivereau. Ma fierté aussi, qui avait été bafouée. Ça et peut-être d'autres choses encore. Il était si difficile de s'auto analyser.

Je pris une profonde inspiration, brûlant de froid mes voies respiratoires, et expirai après avoir gardé l'air quelques secondes. Je redressai mon menton, carrai mes épaules et posai ma main sur la poignée de la porte. Je n'étais plus un adolescent qui découvrait l'amour et les peines de cœur. J'étais un jeune homme, bientôt diplômé d'une des plus prestigieuses universités du monde, qui avait conscience de la dureté de la vie et de la cruauté des hommes et des sentiments.

J'ouvris la porte, prêt à en découdre quand deux visages apparurent derrière. J'eus d'abord l'intention de m'excuser avant de reconnaître deux yeux que je ne pouvais pas confondre. Tout comme moi, il sembla étonné, sans doute de me voir ici, comme je l'étais de le trouver encore là. Ce n'était peut-être pas lui qui m'avait donné rendez-vous, mais Rivereau m'avait dit « comme d'habitude », et « comme d'habitude » signifiait dans les alentours de vingt heures. Il était vingt-et-une heure trente. Peut-être étais-je venu inconsciemment si tard pour les éviter, pour avoir l'esprit tranquille, pour me convaincre qu'ils étaient bien les enflures que je voulais qu'ils soient.

Mais il n'y avait pas de doute. Owen était là, devant moi, aussi ébahi que je l'étais.

Je glissai mes yeux derrière lui et aperçu une tignasse que je commençai à bien connaitre aussi.

— La porte, grinça la vieille femme du resto.

— Oui, excusez-nous.

Je frissonnai. Non pas de froid, mais à l'entente de sa voix grave. C'était idiot, je l'avais vu quelques heures auparavant, durant le tutorat. Je ne lui avais ni adresser la parole, ni même un regard. J'avais travaillé parce que j'étais un élève sérieux. J'avais ignoré ma peine et ma colère. J'avais fait fi de mon cœur qui cognait, qui me disait que je l'aimais encore, alors que ma tête m'hurlait de l'oublier, qu'il m'avait menti et mené en bateau.

Mais l'avoir en face de moi maintenant, en dehors de l'université ou du collège, était une tout autre chose. Je ne pouvais pas l'ignorer. Je ne pouvais pas me réfugier dans quoi que ce soit. J'étais devant lui et j'avais croisé ses yeux. La pire des choses à faire.

Ils sont toujours aussi beaux, pensai-je.

Bien sûr qu'ils l'étaient, ils n'allaient pas changer en une semaine, et encore moins juste pour que je l'oublie !

— Soan, commença-t-il. Allons dehors.

Je ne répondis pas mais m'écartai du chemin. Théoriquement, j'étais déjà dehors, mais je me retins d'en faire la remarque. Je n'étais pas certain que le sarcasme soit la solution à nos problèmes. Si problèmes il y avait, évidemment.

Owen tenu la porte à Rivereau et la ferma derrière lui. Chose à laquelle Rivereau le remercia. Il resserra son épaisse écharpe autour de son cou et plongea ses mains dans les poches de son manteau camelle. Une couleur qui lui allait à la perfection. En contraste, Owen était tout en noir. À ma grande surprise, il sortit un paquet de cigarettes et en alluma une coincée entre ses lèvres.

— Tu fumes, ne pus-je m'empêcher de faire remarquer sans prêter attention au fait que je l'avais tutoyé.

Il tira une taffe, faisant rougeoyer le bout de son bâtonnet toxique, puis recracha la fumée qui se perdit plus haut, se mélangeant à l'air ambiant qui était d'une froideur plus mordante depuis quelques minutes.

Miracles In December (Le Droit de Nous Aimer)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant