Mardi 15 décembre.
Avant d'entrer dans la chambre, je résume à Théo la situation concernant Laura, la meilleure amie d'Eliott. Il écoute attentivement et hoche la tête, comme s'il savait déjà à quoi s'attendre. Il a dû perdre des amis comme ça lui aussi. Dans ma main, je tiens un téléphone portable appartenant au refuge. On en prête souvent aux résidents lorsqu'ils sortent. La plupart n'ont pas les moyens d'en posséder un, donc ils peuvent en prendre un avec eux comme sécurité, en cas de besoin.
J'aimerais qu'Eliott tente de communiquer avec Laura, et c'est pourquoi j'ai ce téléphone. Si cette jeune fille correspond à l'image que je m'en fais, elle doit énormément s'en vouloir d'avoir laissé tomber son ami et doit s'inquiéter comme une dingue depuis sa disparition. Théo semble d'accord avec moi, car il appuie ma décision.
— Voir un visage familier lui ferait sûrement du bien. Une réconciliation aussi, confirme-t-il.
Comme la veille, je trouve Eliott couché sur son lit, lisant Et ils meurent tous les deux à la fin. Il a beaucoup avancé sa lecture depuis hier, il est presque à la fin. Il se redresse aussitôt à notre arrivée et parait heureux de voir que Théo se joint à nous cette fois. Ils ont véritablement établi un lien, ces deux-là.
Théo et moi nous installons près du lit, comme le week-end dernier. Après quelques bavardages, j'annonce mon plan à Eliott, non sans une certaine appréhension.
— Alors, j'ai parlé à Théo de la situation avec ton amie Laura. Et on aimerait tenter quelque chose. On croit que Laura serait contente d'avoir de tes nouvelles. Peut-être même qu'elle accepterait de venir te voir.
Eliott mordille sa lèvre. Il n'a pas l'air friand de l'idée. Je sors le téléphone de ma poche, où je l'avais rangé avant d'entrer.
— Tu connais son numéro ?
Eliott acquiesce timidement. Je lui tends le portable, mais il hésite à le prendre. Puis il étire le bras et je dépose l'appareil dans sa main. Il le regarde un instant, incertain.
— Elle doit être en cours en ce moment, dit-il.
— Tu sais quand elle sera libre ?
— Dans une demi-heure environ. Ça sera la pause.
— Très bien, alors ça te donnera le temps de te préparer, dis-je.
— Et si elle répond pas ? Ou si elle refuse de me parler ? s'inquiète-t-il.
— Depuis combien de temps vous connaissez-vous, elle et toi ? intervient Théo.
— Depuis... Depuis quatre ans, je crois. On s'est retrouvé à devoir faire un travail d'équipe ensemble une fois, pour un cours de français. Et comme c'était un travail qui s'échelonnait sur toute l'année, eh bien on a pas mal appris à se connaître.
Eliott sourit à ces souvenirs.
— On s'est tout de suite bien entendu.
— Est-ce qu'elle t'a déjà fait sentir que tu comptais pas pour elle, en dehors du rejet de cette automne ? poursuit Théo.
— Non, jamais, s'empresse de répondre Eliott. Pendant les premières années, elle voyait déjà qu'un truc tournait pas rond chez moi. Même moi je savais pas ce que c'était exactement. Mais elle s'assurait toujours de savoir comment j'allais. Quand je me sentais trop mal et que j'allais pas en cours, elle passait toujours à la maison le soir. J'avais jamais eu une amie comme ça.
Théo me lance un regard, ravi de la réponse d'Eliott.
— Je sais que tu es blessé et que tu as peur que Laura te rejette encore une fois si tu essaies de reprendre contact avec elle. Mais d'après ce que tu viens de me dire à son sujet, je doute fort qu'elle le fasse. Lana m'a dit qu'elle t'avait même défendu au lycée, à ses dépens, puisqu'elle tenait autant à toi. Ce genre d'amitié disparait rarement du jour au lendemain. À mon avis, on lui a pas laissé le choix.
— Le choix ?
— Le mieux serait de lui demander, Eliott, continué-je. Te laisser tomber était certainement pas la meilleure décision, mais elle avait sûrement ses raisons. Comme j'avais les miennes à l'époque, avec ma meilleure amie. Il serait bien d'entendre sa version des faits, tu crois pas ?
Eliott hoche la tête, un peu plus rassuré.
— Je vais essayer alors.
Je lui souris, puis souris à Théo. Maintenant, il ne nous reste plus qu'à croiser les doigts pour que ça fonctionne.
— Lana ?
Je rapporte mon attention sur Eliott, sa petite voix m'interpellant tel un enfant.
— Oui ?
— Je peux te poser une question sur ton amie ? demande-t-il, hésitant.
Je prends une inspiration, et accepte. Je n'aime pas particulièrement parler de cette époque, mais si ça peut aider Eliott, alors je me dis que c'est pour le mieux.
— Quand on a parlé d'elle hier, tu as dit que ta visite ici, c'était la dernière fois que tu l'avais vue. Comment ça ?
Je ne bouge pas pendant plusieurs secondes. Puis je mors ma lèvre et frotte mes mains sur mes cuisses. Je me lève et les glisse dans les poches arrière de mon jeans avant de faire le tour de la chambre, les yeux au sol.
— Je suis désolé, dit Eliott, c'est pas grave si tu veux pas en parler.
Je lui souris doucement, puis reprends place sur mon siège, à côté de Théo.
— Non, ça va, t'inquiète pas. C'est juste que c'est pas un moment de ma vie que j'aime aborder, mais comme je mentionne souvent ma meilleure amie, je crois que tu es en droit de savoir ce qui est arrivé.
Je soupire avant de me lancer.
— Comme je te l'ai dit hier, elle avait pas mal de problèmes à la maison. J'en suis pas sûre, mais je crois que son père abusait d'elle et de sa sœur. À ses 18 ans, sa sœur est partie, mais elle a pas pu emmener mon amie avec elle. Alors elle est venue au refuge. Elle a pas voulu parler de ce qui se passait aux intervenants parce qu'elle avait peur que son père aille en prison. C'est tout ce qu'il aurait mérité, mais elle savait que sa mère lui en voudrait, donc elle a rien dit. Quand je suis venue la voir, on a discuté toute la nuit. On s'est endormie ensemble vers trois ou quatre heures du matin, puis je suis repartie chez moi avant que mes parents se réveillent. Évidemment, ses parents ont pas voulu signer l'autorisation pour qu'elle reste au refuge. Elle refusait de retourner chez elle alors elle a fugué.
Je m'arrête un instant pour reprendre mon souffle. Les images de mes derniers moments avec elle me reviennent en tête et me serrent la poitrine. Je revois ses cheveux ébènes, ses yeux verts comme ceux d'un chat, ses longs doigts aux ongles vernis. Je pouvais sentir chaque os de son petit corps lorsque je la prenais dans mes bras. Elle était si maigre, mais si jolie.
— J'ai pas eu de nouvelles pendant trois semaines. Puis un matin, j'ai vu aux infos qu'on avait retrouvé son corps dans la rivière. C'était un suicide, pas une noyade.
Eliott et Théo me regarde, sans voix. Ils ne savent comment réagir, quoi dire. Je mords l'intérieur de ma joue pour chasser le mal émotionnel et tente d'afficher un léger sourire pour les rassurer.
— Faites pas cette tête, c'était y'a longtemps, dis-je, voulant détendre l'atmosphère.
— Je suis vraiment désolé, Lana, dit Théo en posant sa main sur mon genou.
Je ravale mes larmes et lui souris. Eliott se lève et prend ma main dans la sienne.
— T'es plus toute seule maintenant, prononce-t-il en serrant mes doigts.
Laura a répondu à l'appel d'Eliott. Elle va passer en fin de journée, demain.
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Pur Amant
Romance→ Suite de « Faux Copain » et « Vrai Fiancé » C'est le temps des réjouissances, mais la vie ne me permet pas de me réjouir pour le moment. Entre les articles à corriger, celui à écrire, et les jeunes à aider, je n'ai même pas le temps de me familiar...