IV

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Lundi 7 décembre.

Mon ordinateur émet une notification sonore et me sort brusquement de ma rêverie, ou plutôt de ma contemplation de l'aloès sur mon bureau. Je ramène mon attention à l'écran sorti de son état de veille. Je clique sur la petite icône orangée et ma boîte courriel s'ouvre. Un message en gras s'affiche. Il est de la part du rédacteur en chef qui m'envoie en pièce jointe les articles à réviser pour l'impression de demain. Je soupire ; j'espère tellement obtenir cette promotion.

La correction n'a rien de terrible. Je parviens d'ailleurs à soutenir un rythme qui surpasse celui de mes prédécesseurs. Je remets souvent la version finale avant même que les imprimeurs ne soient arrivés. Cependant, passer chaque chronique au peigne fin manque d'action. Je déteste la répétition et voilà exactement en quoi consiste ce boulot : lire et relire chaque jour des nouvelles similaires pour y corriger les erreurs habituelles.

J'ai l'opportunité d'échapper à cette activité aliénante : cet article que je dois produire avant la fatidique date du 24 décembre demeure ma seule porte de sortie. Si je réussis à prouver mes compétences de chroniqueuse, je serai promue et je pourrai enfin les exploiter à bon usage. Mais pour ça, je dois commencer par trouver un sujet suffisamment solide, ce qui n'est pas gagné.

Je repense à Eliott, à son regard rempli de larmes. J'entends encore sa voix se tordre sous la douleur des confessions. J'aurais tant aimé le prendre dans mes bras et le bercer pour le consoler, lui chuchoter à l'oreille que tout irait bien et qu'il n'avait pas à s'inquiéter. Mais je sais très bien que je ne peux pas faire ça. La politique du refuge et mon bon sens m'en empêchent. Je dois emprunter un autre chemin pour lui faire ressentir ce réconfort : les mots restent mon unique option.

Eliott ne m'a pas saluée hier quand je suis partie. Il fallait s'en douter. J'ai essayé de l'aider sans le brusquer, et pourtant, c'est exactement ce que j'ai fait. Je m'en veux. Ce n'est pas la première fois que je me trouve devant un adolescent perturbé, j'aurais dû mieux le cerner et parvenir à déceler son profond refus de se livrer. J'ignore si j'arriverai à regagner sa confiance.

Irène m'a encouragée. Quand je suis sortie de la chambre, je suis allée la retrouver. J'ai parcouru tous les étages avant de tomber sur elle. Devant mon air abattu, elle a tout de suite compris. Je lui ai transmis tout ce que j'avais appris au sujet du garçon afin qu'elle puisse remplir son formulaire d'admission. À vrai dire, son nom et son âge suffisaient amplement. Pour le reste, elle m'a dit qu'elle demanderait à un ami de m'accompagner.

Je n'ai pas besoin d'aide, seulement de trouver une nouvelle approche, mais elle a insisté. « Vous vous entendrez bien. » m'a-t-elle assuré. Je ne suis pas convaincue pour autant, mais j'ai accepté. Je n'ai pas trop le choix de toute façon.

Je redoute le travail d'équipe, surtout lorsque cela concerne un jeune auquel je m'attache déjà. Mon expérience personnelle en tant que résidente interfère peut-être avec mes qualités d'intervenante, mais elle demeure la clé de mon succès auprès des cas difficiles. J'en étais un. Je connais le système, je suis passée par là. Mais je dois arrêter de tout ramener à moi. Peut-être qu'Eliott se sentira mieux accompagné en présence de deux personnes au lieu d'une. Je me demande bien en quoi l'ami d'Irène contribuera à nos séances, mais je sais qu'elle n'a pas pris cette décision au hasard ; je la connais trop bien.

Je télécharge le document censé m'occuper pour la journée. Une fois ouvert, je le survole en défilant la barre à droite trop rapidement pour lire quoi que ce soit. Trente-deux pages, ce n'est pas si mal. Si je ne me laisse pas trop déconcentrer, j'aurais terminé dans quatre heures, à peine. J'avale une gorgée d'eau citronnée et pousse un long soupir. Il faut commencer pour finir.

Je sélectionne l'entièreté du texte que je copie dans le logiciel de correction. Bien qu'efficace pour déceler les fautes d'inattention ou de frappe, ce petit outil néglige largement les erreurs d'accord, d'où l'importance de la révision manuelle. Les chroniqueurs du Quotidien possèdent d'excellentes compétences de rédaction, mais leur piètre orthographe me surprend toujours. Le correcteur m'appuie sur ce point : en rouge, il affiche aujourd'hui 218 signalements.

Le premier article me donne espoir : deux des trois détections se révèlent fausses. Après tout, Marie-Lou produit invariablement des reportages de qualité, aussi bien dans la forme que dans le contenu. Celui de ce matin concerne l'incendie d'un restaurant dont le nom m'est inconnu. Il ne doit pas se trouver dans mon quartier ni dans les alentours. J'aurais entendu les sirènes de pompiers. L'adresse ne me dit rien non plus. Le reste de la ville demeure pour moi un labyrinthe à explorer. Heureusement, comme le mentionne Marie-Lou, il n'y a eu que des blessés mineurs, malgré les dommages sévères subis par le bâtiment.

Je poursuis ma lecture, tentant de ne pas me laisser emporter par les différents sujets abordés : accident, remise de prix, invention révolutionnaire, communiqués de la municipalité, courrier du cœur, nécrologie, etc. Bientôt sonne l'heure de la pause et j'en profite pour rendre visite à la machine à café, à quelques cubicules du mien. Depuis plusieurs heures déjà, les grains moulus agacent mes narines. La tranche de citron dans ma bouteille d'eau est loin de produire le même effet.

Je verse le liquide chaud dans une tasse en céramique à l'effigie du journal et ajoute une petite quantité de lait. Le mélange coule lentement dans ma gorge alors que je fais le tour de l'étage pour me dégourdir un peu. Rester assise trop longtemps me donne un de ces maux de dos épouvantables.

Je croise quelques collègues sur mon parcours, plusieurs ne connaissent pas encore mon nom et ça m'amuse. Il n'est pourtant pas si compliqué. Si ? Je leur accorde tout de même le fait que je n'ai toujours pas reçu la plaque à accrocher à l'entrée de mon bureau. Peut-être qu'il leur sera plus facile de le retenir une fois bien en vue.

Les minutes s'écoulant plus rapidement que mon café, je retourne à ma révision plus tôt que je ne l'aurais voulu. Je roule les yeux en voyant le nom du prochain chroniqueur auquel je m'attaque. Chaque fois, ses textes me donnent envie de me cogner la tête contre un mur. Je me doute bien que le rédacteur en chef ne le garde que parce qu'il remplit de l'espace dans les pages. À ce qu'on m'a dit, il aurait aussi beaucoup d'ancienneté et le mettre dehors reviendrait à virer un des pères du Quotidien. Ce qui m'étonne le plus, c'est qu'il n'ait jamais appris à écrire au fil de toutes ces années.

Avec peu d'enthousiasme, je me lance dans son premier article. Je fronce les sourcils à la lecture du premier paragraphe constitué d'une longue description physique d'une jeune fille disparue. Elle aurait fugué, si j'en crois les informations fournies par la famille. Plongée dans les détails, je sursaute à la vibration de mon téléphone contre la mélamine du bureau. Collant une main sur ma poitrine, j'attrape l'appareil de l'autre et appuie sur le bouton pour afficher le message. Irène veut me voir mercredi après le boulot pour me présenter son ami censé m'aider avec Eliott. « Le plus tôt vous pourrez commencer, le mieux ce sera ! » a-t-elle précisé. J'hésite à lui répondre que je n'ai pas besoin de lui, mais la contredire ne servirait à rien. Alors je lui écris que j'arriverai au refuge vers 21 h, qu'elle peut compter sur moi.

***

Je suis désolééeee ! J'avais complètement oublié qu'il y avait un chapitre pour hier. J'croyais que le prochain était mercredi. Ouf, en cette fin de session, je perds la notion des jours ! Sorry !

Pur AmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant