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Dimanche 6 décembre

Plus qu'un article avant cette promotion. Plus qu'un article avant mes vacances. Plus qu'un article avant de revoir ma famille. Plus qu'un foutu article.

Assise sur mon lit, l'ordinateur posé sur les cuisses, je fixe le curseur me narguer à chaque disparition. Lui non plus n'y croit pas à cet article. Cela fait bien trois semaines qu'il efface lettre après lettre les phrases que je le contrains à écrire. Rien ne me satisfait. C'est trop vague, pas assez pertinent, ça manque de personnalité... Ça ressemble à ce que j'écrivais il y a quelques mois, alors que je n'avais plus la volonté nécessaire pour produire quoi que ce soit de potable.

Maintenant, je n'ai plus d'excuses. Je ne peux me permettre de remettre un travail d'une telle médiocrité. Alex m'a siphonné tout ce que j'avais. Énergie, argent, motivation... Tout. Alors même si j'ai très envie d'obtenir cette promotion, j'en ai avant tout besoin. Mon nouvel appartement coûte la peau du cul et ce n'est certainement pas avec mon pauvre salaire au Quotidien que j'arriverai à boucler les fins de mois. Je n'ai même pas de quoi offrir ne serait-ce qu'un petit cadeau de Noël aux membres de ma famille cette année. Et ça me fend le cœur.

Je ne leur ai d'ailleurs pas tout raconté sur Alex. Je n'en ai jamais eu le courage. Peut-être avais-je honte de m'être retrouvée une fois de plus dans cette situation. Peut-être ai-je peur de leur faire pitié, ou pire, de briser ce que nous avons réussi à recoller. Ma famille n'a pas toujours été là pour me soutenir et m'aider. Mais la perdre à nouveau constituerait un deuil que je n'arriverais pas à surmonter. Alors à vingt-sept ans, il faut que je commence à me débrouiller seule et à assumer les conséquences de mes choix.

Sortir avec Alex resterait l'un de ces choix, l'un des pires. Je n'aurais jamais dû laisser entrer cette personne dans ma vie, mon appartement, mon intimité. Bien sûr, nous avons vécu de magnifiques moments ensemble. Il en fallait bien pour balancer le reste.

Seul Noah est au courant de toute l'histoire. L'annonce de notre rupture a été un soulagement pour lui. Il m'a rapidement trouvé cet appartement et m'a aidée à déménager alors qu'il était déjà débordé avec les préparatifs de son mariage. Lorsqu'il m'a dit qu'il désirait me savoir en sécurité, j'ai éclaté en larmes pour la première fois depuis ma séparation avec Alex. C'était ce que je voulais : me sentir en sécurité, pour une fois.

Mes yeux, qui fixaient le vide depuis plusieurs minutes, se reportent soudain sur la page toujours vierge à l'écran. Le curseur n'a pas bougé. Je soupire. Cet article ne s'écrira pas tout seul. Je pose mes doigts sur les touches, toujours aucune idée en tête.

Pendant plusieurs secondes, mes mains flottent au-dessus du clavier. Puis j'écris un mot, et un autre. Les phrases s'enchaînent, suivant un rythme lent mais bien connu. Je m'arrête et relis. C'est merdique, une fois de plus. J'efface tout.

Je jette un coup d'œil à mon téléphone, posé à côté de moi. Son écran vient de s'allumer. Sans le déverrouiller, j'appuie sur le message pour en lire le contenu. C'est Irène, de l'association jeunesse. Un adolescent vient d'arriver et refuse de parler à quiconque, bien qu'il soit entré au refuge de son plein gré. Irène, comme toujours, m'appelle à la rescousse. J'ai apparemment une bonne réputation en ce qui concerne ce genre de cas. Plusieurs bénévoles de l'asso croient que c'est grâce à mes années d'études en délinquance que j'arrive à ouvrir ces jeunes scellés comme des huitres. Personnellement, j'accorde le mérite à mon franc-parler, qui semble les mettre en confiance. Je n'aime pas la pitié, et eux non plus.

Je claque l'écran de mon ordinateur à son clavier et mets fin à cette séance de torture. Ce n'est pas comme si j'étais très productive de toute façon. Cet article — ou plutôt cette page blanche — sera toujours là à mon retour, quoi que je fasse. Aussi bien en profiter pour me rendre utile.

Je me lève et replace mon couvre-lit de style indien. Un grand mandala couvre le tissu aux multiples couleurs chaudes. Je m'y perds souvent, comme si les lignes exerçaient une quelconque force d'attraction sur moi. Je n'ai jamais mis les pieds en Inde, mais comme j'aimerais. Ma fascination pour ce pays et sa culture a commencé avec l'achat de cette couette – qui par ailleurs, ne vient pas du tout d'Inde. J'imagine que les exercices de méditation appris au centre ont contribué à cet intérêt particulier. Ma tendance à m'investir plus qu'il n'en faut dans certains détails de mon quotidien aussi.

J'enfile rapidement un pull par-dessus mon t-shirt ACDC et une paire de chaussettes à mes pieds nus. Je déteste cette sensation d'emprisonnement des extrémités, mais s'il y a bien une chose que je hais davantage, c'est le froid. Et il est hors de question que mes orteils gèlent !

Je m'arrête quelques secondes devant le grand miroir à côté de ma porte. De larges lunes d'un gris violacé dorment sous mes yeux, témoignant de mes insomnies. Mes cheveux peinent à reprendre leur éclat naturel après le supplice des teintures, mais leur coupe en dégradé leur donne meilleure allure. Pour la première fois depuis des années, j'ai l'air « normale », ce qui, dans mon cas, se rapproche plus de l'anormalité. Changer de peau était nécessaire en déménageant ici. Je n'avais pas seulement besoin d'une nouvelle vie, j'avais aussi besoin d'une nouvelle moi.

***

Je suis de retour !

Petit cadeau à l'avance, puisque je me suis trompée dans les dates lors de l'annonce hier. Donc les deux autres chapitres pour cette même date seront publiés demain. Bref, j'espère que ce début d'histoire vous plaît et qu'il vous donne envie de poursuivre. J'ai hâte de savoir ce que vous en pensez !

À demain,

Cath xoxo

Pur AmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant