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Mercredi 9 décembre.

La nuit est déjà tombée lorsque que je quitte les bureaux du quotidien, vers 17 h 30. Je monte dans ma voiture et la démarre aussitôt. Après quelques secondes, je tourne le bouton du chauffage au maximum. Un grondement emplit l'espace. Toutes les bouches d'air soufflent une tiédeur insuffisante. J'attends une minute, frigorifiée, puis sors du stationnement, priant pour que le moteur fasse grimper encore de quelques degrés la température à de l'habitacle.

Au lieu de rentrer chez moi, je décide de me rendre directement au refuge. Ma rencontre avec l'ami d'Irène n'aura pas lieu avant trois heures, mais ça me permettra de passer un peu de temps auprès de ceux qui m'ont tant manqué. J'aimerais aussi voir comment va Eliott. Il ne doit plus se trouver dans cette salle d'accueil au rez-de-chaussée. Après vingt-quatre heures, on transfère normalement les jeunes dans des chambres un peu plus confortables au premier. Ça les invite à se détendre, et à rester. La plupart d'entre eux n'ont nulle part où aller, et on préfère de loin les savoir en sécurité, au refuge, que dehors, surtout à ce temps-ci de l'année.

Une dizaine de minutes plus tard, je gare ma voiture à côté de celle d'Irène. Cette femme vit pratiquement ici. Si ce n'était pas de son mari urgentologue, elle le ferait probablement. En tout cas, ça lui éviterait de payer un loyer.

Je compte jusqu'à trois, sors en vitesse de ma berline et m'engouffre dans le bâtiment par la porte réservée aux employés. Contrairement à celle du hall d'entrée, celle-ci est protégée par un code de sécurité à six chiffres. Depuis le temps que je le connais, je n'ai même plus besoin d'y penser. Aussitôt enveloppée d'une chaleur agréable, je me défais de mon manteau et de mon bonnet. Je laisse le tout dans le bureau d'Irène, près de la réception. Je jette un coup d'œil à l'horloge suspendue au-dessus de la porte : 17 h 44. Tout le monde doit se trouver à la cafétéria à cette heure-ci. À vrai dire, moi aussi j'ai un petit creux.

Je me rends à la salle à manger où la plupart des résidents et des intervenants sont toujours assis. Tous bavardent tranquillement autour des plateaux vides. De son siège, William agite les bras. Un énorme sourire envahit son visage. Il donne un léger coup de coude à Nicholas pour lui signifier ma présence. Les yeux de ce dernier s'illuminent lorsqu'il m'aperçoit enfin. Je m'approche et William pousse Nicholas pour me faire une place entre eux deux.

— Lana ! s'exclament-ils en cœur.

Je les serre chacun leur tour dans mes bras, puis m'assois dans l'espace restreint.

— C'est fou ce que vous m'avez manqué, leur confié-je en passant mes mains dans leur dos.

William pose sa tête sur mon épaule.

— Tu nous as encore plus manqué, Lana.

Je ne peux m'empêcher de sourire à cette moue si adorable. William a quinze ans. Voilà maintenant deux ans qu'il réside ici. Dès le jour où je suis entrée dans sa chambre d'accueil, un lien s'est créé entre nous. Je suis comme sa grande sœur, sa protectrice. Il a une telle confiance en moi, jamais je ne me permettrais de l'abandonner. Plusieurs fois, j'ai tenté de débloquer son dossier à la protection de la jeunesse, afin qu'on lui trouve un bon foyer. Mais rien à faire : sa famille, bien que des plus dysfonctionnelles, satisfait toujours les exigences des inspecteurs. William vit ainsi au refuge, avec l'autorisation signée de ses parents, qui ont plutôt l'air satisfaits d'avoir un enfant de moins à leur charge. Les services sociaux n'interviennent donc pas. William espère bien que cette situation perdurera jusqu'à sa majorité. Retourner chez lui constitue son plus terrible cauchemar et je suis prête à tout pour que ça ne se produise pas.

Soudain, je me rends compte de l'absence d'Eliott. Un brin d'inquiétude me pince le cœur. Je jette un regard autour de moi, à la recherche de son visage, mais mes yeux ne croisent que de vieilles connaissances. Je me penche vers William.

— Eliott est pas là ?

— Qui ?

— Eliott, le nouveau, précisé-je. Il a le teint mat, des cheveux foncés, presque noirs. Il est pas très grand, et il porte des vêtements larges. Tu l'as vu ?

— Oh, le gars de la chambre bleue ?

Je souris. Évidemment. La seule chambre individuelle de l'étage, avec salle de bain privée. Je remercie mentalement Irène d'y avoir pensé.

— Je l'ai croisé juste une fois, poursuit William. Je savais pas qu'il s'appelait Eliott. Il sort pas souvent. En fait, il sort jamais. Je l'ai vu quand Irène l'a installé au premier. J'ai voulu l'inviter à venir jouer avec nous, hier soir, mais il a pas répondu.

Je soupire. Ce cher William a un cœur d'or. Je le serre de nouveau dans mes bras et lui promets de passer au salon un peu plus tard. Il me confirme qu'il m'y attendra.

Au moment où j'atteins l'étage, quelques bribes de conversations me parviennent. Je reconnais la voix d'Irène, qui effectue un suivi auprès d'une résidente. Les heures de repas, où tous se retrouvent au rez-de-chaussée, se prêtent bien à ce genre de discussion.

J'avance vers la porte bleue qui, comme les murs de la chambre, donne son nom à la pièce. Je cesse de mordiller ma lèvre et prends une grande inspiration avant de toquer trois fois. Rien ne se passe. J'ai l'impression de revivre la soirée de dimanche dernier.

— Eliott, c'est moi, Lana, tenté-je d'une voix douce.

J'attends une minute, peut-être deux, mais n'obtiens aucune réponse. Pourtant, la lumière sous la porte m'indique qu'il se trouve à l'intérieur. Une main sur mon épaule me fait sursauter.

— Oh Seigneur ! lâché-je en me retournant.

— Désolée, s'excuse Irène avec un sourire en coin. Je croyais que tu m'avais entendue approcher.

Je secoue la tête.

— Je... J'aurais aimé discuter un peu avec Eliott, expliqué-je.

— Je sais, compatit Irène. Mais il a besoin de temps. Il faut être prudente avec lui. Pour l'instant, je suis la seule personne qu'il accepte de voir. Et encore, c'est seulement pour que je lui apporte ses repas et des vêtements de rechange. Autrement, il passe ses journées enfermé ici et il refuse de parler. Mais tu connais la procédure : si je n'ai pas l'autorisation de ses parents, je ne peux pas le garder plus d'une semaine.

Appuyant une main dans mon dos, mon amie m'entraine avec elle. Nous traversons le couloir en sens inverse pour regagner l'escalier. Une fois en bas, son sourire réapparait.

— C'est bien que tu sois déjà arrivée, Théo m'a dit qu'il aurait de l'avance.

— Théo ?

— Oui, l'ami dont je t'ai parlé. Il sera bientôt là. Il bosse sur un gros dossier au cabinet, mais il m'a assuré qu'il réussirait à se libérer plus tôt ce soir. Il a très hâte de te rencontrer.

Je hausse les sourcils. Et moi donc !

— Tu peux aller rejoindre les autres, je t'enverrai un texto.

— Super. Je serai au salon.

— Oui, je m'en doutais bien, dit-elle avec un clin d'œil.

Elle retourne à son bureau tandis que je rejoins mon petit protégé, certainement prêt à m'affronter pour quelques parties de Mario Kart.

***

Eh oui, encore en retard... Je viens de tomber en vacances, du coup j'avais pas mal de trucs à finaliser. Je vais vraiment essayer de m'en tenir aux bonnes dates maintenant. Vraiment essayer. Désolée.

Pur AmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant