VII

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Samedi 12 décembre.

Il n'est que 8 h, mon cerveau commence à peine à dégivrer grâce au café. Je m'engouffre dans le bâtiment et dépose mes affaires dans le bureau d'Irène. Je m'assois quelques minutes et appuie ma tête contre ma paume. Je ferme les yeux. Ma respiration se calme, mon crâne semble se remplir de béton. Un vide immense se crée dans l'espace-temps, m'aspirant tout entière. Je tombe.

Un violent sursaut me sort de ma somnolence. Mon gobelet de café se trouve toujours entre mes doigts. Soulagement. Je me redresse sur mon siège, prends quelques gorgées pour me remettre d'aplomb. Je frotte mes yeux plusieurs fois, puis me lève pour me dégourdir. Je dois être d'attaque pour la journée d'aujourd'hui. On compte sur nous.

Théo arrive enfin. Je remarque tout de suite son changement vestimentaire. Bien que toujours aussi classe, il a opté pour un style plus décontracté en ce samedi matin. Il a troqué chemise et cravate pour un pull bourgogne, et ses chaussures bien cirées pour des espadrilles de course noires. Il porte même un jeans – noir lui aussi. Petit ajout à la tenue : une paire de lunette à large monture. Il parait encore plus intello, mais ça lui donne une allure très charmante.

Sa présence me sort complètement de mon état d'engourdissement. Je suis enfin pleinement fonctionnelle. Nous échangeons un bonjour un peu trop enthousiaste, puis nous revoyons une dernière fois le plan établi lors de notre rencontre. Tout, ou presque, repose sur les épaules de Théo. Et nous n'avons plus que trente-six heures pour réussir. Heureusement pour moi, le travail sous pression, c'est la spécialité de Théo.

Suivie de Théo, je monte à l'étage, non sans une certaine appréhension. Je glisse mes mains glacées par le stress dans les poches arrière de mon jeans et laisse mon partenaire cogner à la chambre bleue. Un faible « quoi » nous parvient à travers la porte. Théo baisse les yeux vers moi, comme pour me transmettre tout le courage qui l'habite. Il sent que j'ai peur de merder.

— Eliott ? C'est Lana. J'aimerais te présenter quelqu'un, un ami d'Irène. Tu veux bien nous laisser entrer ?

Je mords ma lèvre, croisant les doigts pour qu'Eliott nous aide à franchir la première étape. Il faut que ça vienne de lui, on ne peut pas le forcer. Cette acceptation – ou ce refus – déterminera la suite de notre opération.

Plusieurs secondes s'écoulent, je regarde Théo du coin de l'œil. Il est confiant, ça me redonne espoir. Je soupire avant d'entendre le parquet craquer de l'autre côté. La poignée tourne et Eliott, en pyjama, apparait devant nous. Il scrute Théo un instant, de la tête au pied, puis retourne s'enfouir sous le tas de couvertures. Au moins, le store est relevé, on ne l'a pas réveillé.

Nous entrons dans la pièce, puis Théo referme derrière lui. Le côté sobre mais douillet du bleu poudre me rappelle celui des chambres pour bébé. Les meubles en mélamine blanche complètent ce décor angélique. Je sors deux chaises du placard – tous les placards contiennent des chaises pour les situations d'intervention ou pour les rassemblements entre résidents – et les installe le long du mur, en face du matelas. Eliott nous suit des yeux, il comprend ce qu'il se passe, mais décide de ne pas réagir. J'ignore si je dois me réjouir de cette passivité.

Nous prenons place, prêts à commencer. Je me tourne vers Théo et lui donne le signal, un léger sourire. Il me sourit en retour, m'assurant que tout ira bien. Il joint ses mains entre ses genoux et centre toute son attention sur notre résident. Si Eliott ne se sent pas déjà rassuré par l'énergie de cet homme, moi, en tout cas, je le suis.

— Salut Eliott, dit mon collègue d'une voix calme. Je m'appelle Théo. Je suis là pour t'aider.

Eliott se cache toujours sous la couette azurée. Théo continue.

Pur AmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant