BATMAN - L'As et le Masque, Avant l'histoire

~ 01 ~

            Une foule costumée de blanc et de bleu. Une légère odeur de tabac. Un brouhaha assourdissant, presque aussi bruyant que celui de ses pensées.

James Gordon, pipe à la bouche et mains enfouies dans son manteau caramel, se dirigeait d'un pas ferme vers la salle d'interrogatoire où ses collègues l'avaient appelé. Depuis le mystérieux incendie qui s'était déclenché au cœur de la ville, il avait à peine eu le temps de prendre une pause, et encore moins d'aller dîner avec sa fille. Il y avait trois jours que l'hôpital avait pris en charge l'enfant que le Chevalier noir avait secourue ; et pourtant, il n'avait toujours pas trouvé de répondant au nom des Watersons ou un quelconque individu alerté par leur mort. Accaparé par les crimes qui montaient en flèche, il avait dû laisser jusque-là le reste de l'opération entre les mains d'un inspecteur et d'une poignée de ses hommes pour s'assurer de la sécurité de Gotham. S'il avait cru qu'un incendie de plus ne poserait aucun problème à un enquêteur qualifié, ses collègues avaient tôt fait de lui communiquer ses préjudices.

Avec la permission du commissaire, le détective avait employé des mesures plus drastiques afin de faire progresser l'investigation. Cependant, les événements n'eurent pas la tournure espérée : malgré les préoccupations de Gordon, on le réquisitionna à la salle d'interrogatoire. À la suite d'un profond et las soupir, il fut contraint d'abandonner la montagne de paperasse qui s'accumulait sur son bureau afin d'aller donner un coup de main à ses associés. Au fur et à mesure qu'il progressait dans les couloirs du commissariat, il s'interrogea sur les difficultés qu'un enquêteur professionnel pouvait avoir avec un simple incendie, qu'il soit criminel ou non.

Une fois arrivé dans la salle, il s'étonna de constater que ses collègues s'arrachaient photographies et documents dans l'espoir de trouver un indice qui leur permettrait de poursuivre l'enquête. Sans porter attention à leurs débats, il se dirigea vers le verre teint et s'étonna d'y apercevoir leur nouvelle rescapée.

Ses cheveux, courts, irréguliers et entremêlés, formaient une masse noire jais autour de sa tête. Ses yeux, enflés de fatigues, formaient deux billes bleues glace d'une telle nuance qu'il n'en avait jamais vu. À la remarque de son teint laiteux aux multiples auréoles violacées ainsi que du pansement qui maintenait l'ossature de son nez, le commissaire fronça les sourcils.

L'immense chandail délavé dans lequel elle flottait soulignait la peau qui moulait ses os. Ses pupilles rétractées s'étaient fixés sur le verre teint ; sa poitrine, se soulevant au rythme lent de sa respiration, était le seul mouvement qui la séparait d'une statue.

Le rouquin tourna les talons vers ses employés et les foudroya du regard.

- Qui a eu la brillante idée de la sortir de l'hôpital ? Éclata-t-il.

La voix irritée de Gordon mit une fin abrupte aux protestations de ses hommes. Rouge de honte, l'inspecteur en charge de l'enquête s'avança vers lui et passa une main sur sa nuque dans un geste d'embarras. D'une voix incertaine, il expliqua qu'aucune piste leur permettant de savoir l'élément déclencheur des flammes n'avait été laissée sur la scène de l'incendie. Cependant, les pompiers leur avaient bel et bien confirmés que le feu avait commencé de manière violente et subite à la résidence des Watersons.

- Si quelqu'un sait ce qui a pu se passer, c'est elle, conclut-il en mettant les poings sur les hanches.

Bien que le reste de l'équipe approuvât ces propos, le rouquin n'approuva guère leur manière de procéder. La gamine avait perdu ses parents depuis trois jours ; elle les avait probablement vu mourir sous ses yeux. C'était sans compter l'état lamentable dans lequel il l'avait retrouvée. Même s'il détestait faire des assomptions, le commissaire ne pouvait s'empêcher de craindre que ses problèmes aient débuté bien avant ce mystérieux incendie.