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      Le trajet séparant l'orphelinat de l'appartement des Gordon sembla durer une éternité. Si James tentait de profiter de l'occasion pour en apprendre davantage sur Coralie, celle-ci lui rendait la tâche extrêmement pénible. Figée dans son siège, elle ne répondait à ses questions que par des signes de tête et bégaiements incompréhensibles. Plus étrange encore, lorsqu'il lui demanda ses plats favoris ou occupations préférées, elle le fixa comme s'il prononçait un charabia qu'elle ne comprenait pas. Au fur et à mesure qu'il lui nommait des jeux, repas ou même des jouets, son expression devenait de plus en plus confuse. Ses doutes furent confirmés lorsqu'il lui pointa des panneaux et immeubles du doigt en lui demandant de nommer ce qu'elle voyait.

Le silence auquel sa fillette se heurta affirma qu'en dépit de la précision de son vocabulaire, elle avait un retard évident de langage doublé d'une grave méconnaissance des objets, de leur usage ainsi que de leur nom. C'était à croire qu'elle avait passé sa vie entière enfermée entre quatre murs sans recevoir la moindre éducation. Troublé par cette révélation, Gordon décida d'éviter de l'interroger davantage. Il lui partagea l'existence de sa fille et lui fit promettre d'éviter tout comportement violent en sa présence, ordre auquel la noiraude obtempéra non sans une légère hésitation.

Enfin, après ce qui parut une éternité, la voiture s'arrêta. Entraînée par la main, Coralie suivit Gordon jusqu'à un immeuble de briques marron. La bouche close, elle se laissa guider sans lâcher le commissaire des yeux. Bien qu'elle lui obéît au doigt et à l'œil, son comportement ne fit qu'embarrasser davantage son nouveau tuteur : en dépit de son piteux état, elle gravissait les escaliers sans rechigner ou même lui donner l'occasion de prendre de l'avance. C'était presque à croire qu'elle préférait vivre dans son ombre plutôt que de risquer à s'exposer à un quelconque courroux.

Lorsqu'ils arrivèrent au troisième étage, le rouquin s'arrêta devant une porte au numéro métallique étincelant. Après un court cliquetis provenant de la serrure, il invita d'un geste de main la nouvelle venue à entrer dans son appartement. Bien qu'elle fût encore incertaine quant aux intentions de son bienfaiteur, la petite s'exécuta.

L'entrée à la tapisserie rouge vin lui rappelait la chevelure rousse du commissaire. Alors qu'elle examinait les bottes et manteaux éparpillés dans les armoires, elle déboucha sur un grand salon garni de multiples bibliothèques. À la vue des rayons colorés, ses yeux s'agrandirent. Comme attirée par les livres, elle se dirigea vers les meubles d'un pas assuré que le commissaire ne lui connaissait pas.

Elle effleura les couvertures du bout des doigts, caressant du regard les bouquins comme s'ils étaient un trésor interdit. Intrigué par cette réaction inhabituelle, James verrouilla la porte et la rejoignit.

Il s'agenouilla près d'elle et l'observa, un léger sourire aux lèvres.

- Tu aimes lire ? Questionna-t-il.

- J'aimais, corrigea-t-elle d'une voix nostalgique. Avec papa.

C'était la première fois qu'elle lui confirmait l'existence de ce parent fantôme. Bien qu'il fût encore dubitatif quant aux origines de Coralie, il décida de saisir l'opportunité pour l'interroger davantage :

- Si les Watersons ne sont pas tes parents, où est ton père ? Il doit se faire un sang d'encre pour toi.

Il vit la noiraude pâlir. Son regard s'embua ; ses traits se crispèrent.

Lentement, sa main quitta les livres.

- Ils ont dit qu'il était p-parti. Qu'il m-m'avait aban-donnée. Mais j'ai tout vu.

Qui étaient « ils » ? Qu'avait-elle vu ? Il voulait la questionner, comprendre le rôle des Watersons dans sa vie, mais comprit rapidement aux larmes qui roulaient sur ses joues qu'il valait mieux remettre ces interrogations à plus tard.

BATMAN - L'As et le Masque, Avant l'histoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant