Bien installée, Jenny sort le couteau du tas et commence à éplucher comme son vis-à-vis. Là aussi, que de souvenirs ressurgissent sous l'effet de cette simple action.Elle se revoit avec sa mère, à exécuter cette même scène, ce fameux jour où le shérif Jackson est passé. L'intérêt porté par Josh, dix-huit ans à l'époque, sur cette fichue circulaire qui a éclaté à tout jamais leur famille. Tandis que la discussion entre adultes devenait houleuse, son aîné avait déjà pris sa décision de s'engager dans cette maudite guerre civile.
— Jenny...
Elle cligne des paupières puis déglutit au retour à la réalité.
— Oui, monsieur Nathaniel.
Il se penche en avant et chuchote, sourcils levés.
— À mon avis, la quantité de patates dépasse de loin les besoins journaliers de dix individus. Vous en pensez quoi ?
— On fait tout, comme ça, on sera sûr.
Il étire ses lèvres, opine et se redresse, puis reprend sa besogne. S'ensuit un long moment de silence, juste altéré par le mouvement des lames. Moins dans la nécessité d'être sur le qui-vive et afin d'assouvir sa curiosité, Jenny interroge l'homme d'affaires.
— Ça sert à quoi, tout ce matériel ?
— Content que vous le demandiez, très chère. La puissance de la machine à vapeur va basculer ce monde dans la civilisation moderne !
Très enthousiaste, Nathaniel ne manque pas de lui exposer le procédé dont elle ne saisit pas tout, même rien du tout d'ailleurs. En bref, le sable va se voir tamiser en grande quantité par un système mécanique. L'élément humain ainsi remplacé va engendrer une cadence folle. Le géant, passionné, balance ses bras dans les airs au gré de ses explications farfelues, dans un monologue auquel elle lâche vite prise. Elle le laisse à son delirium et acquiesce de temps à autre pour ne pas l'offusquer.
— En bref, à nous l'or, on va devenir riche !
Elle se lève. Toujours cette douleur aux côtes qui l'oblige à serrer les dents.
— Humm, le temps que vous finissez, je vais chercher de l'eau pour la cuisson.
— Très bonne initiative, ma chère, très bonne initiative.
Le zig semble inoffensif, assoiffé de réussir son entreprise. Toutefois, en sa condition féminine et de surcroît, seule, elle ne doit pas moisir ici, sinon, elle va finir par se faire passer dessus sans modération. Le sort en est ainsi, elle le sait. Déjà à l'extérieur avec un seau plein d'épluchures, qu'elle vide un peu plus loin, elle passe à droite des chariots. Ses cheveux virevoltent dans tous les sens sous l'impulsion des bourrasques. Les cinq ouvriers ont déjà déchargé une grosse partie de la cargaison. Jacko, quant à lui, a mis la main à la patte et montre son aisance dans l'assemblage des différentes pièces. Il est aidé par Aldo, qui manie le serrage des boulons avec dextérité. Sous les regards bien trop désagréables des mâles en rut, elle tente de s'éloigner de leur champ de vision. Pourtant, l'un d'entre eux a délaissé sa corvée et la suit. Elle remplit le seau et se trouve face à l'énergumène qui la dévisage de la tête aux pieds. À peine plus grand qu'elle, mais de prime abord costaud, la première chose qui frappe sont ses grandes oreilles décollées et son nez rougi par la bise glaciale.
— Un coup de main, m'dame ?
— Non, merci, ça ira.
Son cœur manque de sortir de sa poitrine lorsqu'elle passe à côté de lui. Elle sent l'intérêt primaire qu'il porte sur sa condition, son envie bestiale de conclure. Elle souffle et prie pour qu'il n'en vienne pas aux actes, mais il la saisit par son poignet libre. Elle contracte ses muscles, mais sa poigne, ferme, lui interdit quelconque espoir de se libérer de cette étreinte. Ses longs cheveux blonds se plaquent sur son visage.
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Cow-boy Jenny, Les Larmes De Washita, Tome 1 (En Réécriture)
Historical FictionSuite à un terrible drame à la ferme familiale, Jenny Parson voit son monde s'effondrer. Toutefois, l'aide inespérée d'un mystérieux Afro-Américain, va lui offrir l'opportunité unique de changer son destin si tragique. Dans le flou concernant le ret...