Au détour d'un énième tertre, le duo s'enfonce un peu plus sur les hauteurs de la montagne et le sentier se soustrait tant en distance qu'en pénibilité. Sous l'effet miroir majoré par le manteau neigeux, l'obscurité se décante, pour s'effilocher entre les grands sapins couverts d'un blanc immaculé. De surcroît, le gel renforce cette impression de vision améliorée en une féérie de scintillements. Jenny scrute le ciel étoilé.— D'où vous affirmez que le temps va virer au vilain ?
La monture s'immobilise et Tim craque une allumette. Incommodée par l'allumage impétueux de la lampe, sa tête dévie de côté. À peine le temps de s'acclimater, qu'elle note la flasque qui bascule dans le gosier de son propriétaire. Face à eux, l'habitation admet ses contours.
— C'est un vice rédhibitoire, vous savez ?
Tim s'essuie sa barbe et lui tend l'objet. Les yeux exorbités, elle reste pantoise.
— Il confirme, son paternel était un pochtron, mais elle devrait essayer. De temps à autre, ça fait du bien, notamment avec le froid, ou la peine, au choix.
Elle déglutit. Il redresse ses épaules carrées avec un regard inquisiteur, puis...
— Sans... façon.
...laisse choir sa décontenance, mais insiste une ultime fois.
— Ça va la détendre. Allez, quoi, elle doit décompresser !
Elle le soupçonne de la défier. Et puis pourquoi pas ? Pas du genre à se morfondre pour si peu, le goulot termine à sa bouche. S'ensuit une bonne descente. Sous son chapeau de plus en plus bizarre, se déploie un sourire radieux en forme de banane. Ses pupilles pétillent-elles de bonheur ou de malheur, ou bien des deux ? Allez savoir. Une chose est sûre, de profondes cicatrices l'animent lui aussi. Elle avale et perçoit la forte chaleur du whisky qui tombe et se diffuse à profusion dans tout son être, pour finir avec le dos d'une main sous son nez rosé.
— Pouah ! Ça a le goût de pisse, votre truc !
— Ah, ah, ah, excellent !
Elle tousse et tape sur sa poitrine. L'horizon vaseux tangue et la silhouette de la maison se délite. Jenny apprécie cet état de légèreté et comprend mieux l'argumentation de certaines personnes. Oublier les horreurs du passé, juste l'espace d'un instant et faire abstraction de cette douleur permanente a du sens. Pourtant novice en la matière, elle vide le contenu, au grand dam du Confédéré.
— Ehhh, tout doux la p'tite dame ! Là, elle va virer pompette !
— Oups, le goût ne s'améliore pas avec la quantité. Bon sang, hip, tout est sens dessus dessous. Brouuuu...
Il récupère sa gourde et secoue sa tête à son manque d'anticipation. Pied à terre, il saisit Poésie par le licol et soupire, mélancolique.
— Elle doit descendre, on est arrivé.
— Ih, ih, balivernes. Dîtes, comment vous vous procurez le tabac et le whisky, vu votre situation ?
La lampe s'élève et éblouit la cavalière, dont les iris se vitrifient.
— Il part travailler à la belle époque, un, voire deux mois, juste assez pour toucher sa paie et s'approvisionner jusqu'à l'été prochain.
— Bon sang, quelle chaleur ! J'parie que vous êtes bûcheron !
Penchée sur l'avant de la selle, elle fredonne des non-dits. La mine déconfite, Tim s'en veut de l'avoir incité à boire.
« Pauvre crétin ! »
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Cow-boy Jenny, Les Larmes De Washita, Tome 1 (En Réécriture)
Historical FictionSuite à un terrible drame à la ferme familiale, Jenny Parson voit son monde s'effondrer. Toutefois, l'aide inespérée d'un mystérieux Afro-Américain, va lui offrir l'opportunité unique de changer son destin si tragique. Dans le flou concernant le ret...