Cinq jours déjà et toujours aucun signe de vie de Jacko et ses sbires. Les averses de neige, peu présentes au début de son ascension dans les Rocheuses, en raison des températures négatives, ne ratent pas l'occasion de tomber en cette mi-journée. La carte dépliée à l'avant de la selle, Jenny essaie d'ouvrir son œil directeur, sans succès. Son index ganté parcourt l'itinéraire intitulé la piste des anges. Sur le plan, la mention d'un refuge ne manque pas de l'intéresser pour y passer la nuit. Elle range le précieux sésame et extrait un billet du sac en cuir fixé derrière elle. La grosse coupure se voit transpercée par une branche de sapin cassée au préalable. Bien en évidence, il est impossible de la rater, comme les autres avant elle d'ailleurs.— Je t'attends du con ! Viens chercher ton pognon. On est bon, Poésie. Allons-y, on est presque rendu.
Une incitation vocale suffit à l'animal pour avaler d'une traite la distance jusqu'à la dite habitation. Le parcours dessine des courbes de plus en plus marquées. Les pentes, raides parfois, exigent une vigilance méthodique. Après un passage complexe, un faux-plat met en point de mire la grande bâtisse. Une fois à proximité, le panneau Refuge des Anges tombe comme une bénédiction du ciel, du moins, si on peut qualifier cette ruine comme telle.
L'instant d'après, ses semelles de bottes craquent dans la fine couche neigeuse. La vétusté des lieux se perçoit au premier jet. La majorité des planches sont fendues ou pourries et le château de cartes tient par l'opération du Saint Esprit. Sur la partie gauche, l'ancienne écurie fait bonne figure car plus en retrait et de part son exposition, mieux protégée aux aléas climatiques. Une fois le loquet déverrouillé, Jenny tire sur un battant de l'immense porte. Toutefois dans l'obligation de forcer, elle grimace à l'ouverture dont le bruit annonce une probable rupture des gonds, mais il n'en est rien. Une fois à l'intérieur, fusil en mains, un geste vif du levier de sous-garde éjecte la douille et réarme le Spencer. Le canon ratisse les alentours.
— Y a quelqu'un ?
Aucune réponse. Dans le clair-obscur, on peut entrevoir d'innombrables toiles d'araignées. Elle attrape un échantillon de reste de foin dans un râtelier de bric de broc et l'hume, puis le jette, révulsée.
— Pouah, à vomir ! Ma pauvre louloute, va falloir t'en contenter. Ça pue, mais aucune moisissure à signaler.
Son reflet dans l'abreuvoir donne un rendu trop vaseux et trop terne en raison de l'eau croupie. Un bon coup de talon envoie valser le bouchon en bois et le liquide se déverse par terre.
— Pfff, me regarde pas comme ça. Y a plein de flotte dehors !
Les oreilles dressées, Poésie gratte d'un sabot pour signifier sa désapprobation. Une fois la barrière du box fermée, Jenny enlève tout l'attirail. L'instant d'après, son sac en bandoulière, elle passe par l'étroite ouverture qui relie l'écurie à la bâtisse principale. Le son sépulcral s'étire dans l'éternité. Plongée dans le néant, la grande pièce à manger alloue tant bien que mal les contours d'une immense table et d'un mobilier en adéquation. Jenny cligne d'une paupière, afin de s'adapter à la médiocrité visuelle. Même sous l'influence des courants d'air, la granulométrie poussiéreuse sature l'atmosphère. Chaque pas fait craquer le plancher d'outre-tombe.
Elle déglutit et s'assied sur le meilleur exemplaire à sa disposition. Son fusil, verrouillé par le cran de sûreté, rejoint son sac en cuir à plat sur le plateau. Le dernier morceau de viande séchée, avalé tout rond, s'agrémente d'une vidange cul sec de sa gourde. Enfin un peu de sérénité, plus besoin de lutter sans arrêt pour juste vivre. Mais cette bizarre intimité la fait craquer et des larmes dévalent jusqu'à son menton. Sa mine se décompose et elle libère enfin toute sa peine, toute sa détresse. Une fois son couvre-chef enlevé, Jenny recroqueville ses bras croisés contre son buste et pose sa tête de côté sur le sac. Sa vulnérabilité, mise à rude épreuve ces dernières semaines, lui occasionne des spasmes, pour finir en sanglots. Le défilé des souvenirs morbides déroule à nouveau sa tristesse, si claire, si précise, qu'elle perçoit encore la corde serrer son cou, puis les convulsions de Myrtille. Ses poings rageurs rejoignent ses cheveux en désordre et ses doigts s'y enfoncent pour les agrippés de toute ses forces. Elle suffoque. Pourquoi au final la fatigue remporte ce duel ? Aucune idée, mis à part un besoin purement physiologique.
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Cow-boy Jenny, Les Larmes De Washita, Tome 1 (En Réécriture)
Historical FictionSuite à un terrible drame à la ferme familiale, Jenny Parson voit son monde s'effondrer. Toutefois, l'aide inespérée d'un mystérieux Afro-Américain, va lui offrir l'opportunité unique de changer son destin si tragique. Dans le flou concernant le ret...