Adieu Hovertown 1-5

56 9 42
                                    


Le duo évolue sous les regards des quelques badauds, dans un mélange de pitié et d'ignorance. Toutefois, à l'approche du Saloon, l'attention de la population se porte sur la bagarre généralisée, qui vient de se propager jusque dans la rue. Les combats occasionnent une espèce de brouillard, sous l'effet de la poussière. Des cris, des engueulades et des combats qui s'estompent petit à petit, pour un constat inchangé : la grève va perdurer. Après avoir dépassé la cohue, Ngoma maintient la cadence d'une traite jusqu'à l'hôtel, mais ne s'y arrête pas. Jenny, le regard hagard, ne s'en aperçoit qu'une fois qu'il la dépose devant l'entrée d'un magasin qu'elle ne connait pas.

— Tu vas réussir à tenir debout ?

Elle essuie sa tristesse de ses longs doigts et acquiesce, une main sur l'épaule de l'Afro-Américain, en guise de soutien. Les souvenirs du drame, ravivés de plus belle, déferlent dans sa tête. Cette odeur. Le sang de ses parents exécutés qui s'étale au sol. Le coup de crosse et le néant. Elle bascule alors sur une poutre horizontale, utilisée pour attacher les chevaux, et vomit. Tandis qu'elle reprend son souffle, Ngoma lui passe un torchon. Une fois l'épisode passé, elle se tourne et réalise l'endroit où ils se trouvent. Pleine d'interrogations, elle range le bout de tissu dans une poche de sa robe.

— Tu,... Tu veux m'acheter des vêtements ? Mais dans mon sac en cuir, y a ce qu'il faut pour...

— Je te propose un changement radical.

Coupée dans son élan, toute ouïe, Jenny reste d'abord stoïque face à ces propos. L'intervalle suivant, son cœur se remplit d'une sorte de chaleur bienfaitrice, comme si cette annonce, là, maintenant, allait à tout jamais, changer le cours de son existence pitoyable. Elle opine de la tête, non sans une certaine appréhension. Ngoma retire son chapeau. La sueur perle son front et il s'éclaircit la gorge.

— Je vois bien que tu n'as nulle part où aller. Tu ne peux pas rester ici à attendre l'arrivée de ton frère non plus, ça peut durer des mois, voire davantage. Je te propose donc une nouvelle vie, avec moi et mes deux amis.

La gorge nouée, elle tente de déglutir, puis réussit à inspirer un peu d'air.

— Pourquoi ? Je... Je serai un fardeau pour vous. Comment pourrai-je vous payer ?

— Te fais pas de bile à ce sujet, chez nous, tout le monde est logé à la même enseigne, qu'on soit blanc, noir, rouge, riche, pauvre, homme ou femme. Chacun exécute les tâches qui se présentent, pour exemple, je lave mon linge. On va t'enseiger l'art du tir et devenir comme nous, par la force des choses. Et en bonus, lorsque tu te sentiras prête, tu possèderas toutes les capacités requises pour envoyer cette bande de hors-la-loi six pieds sous terre.

— Comme vous ?

Il remet son chapeau.

— Nous sommes des chasseurs de primes, et ça paye plutôt bien, même si ça reste dangereux parfois.

Époustouflée par cet état de fait, elle tente de peser le pour et le contre. L'opportunité, unique, se présente comme un virage à cent quatre vingt degrés quant à un avenir, tout tracé d'avance, pour une jeune femme de sa condition. L'idée l'emballe et s'ensuit une poignée de main franche. Il acquiesce, puis l'invite à entrer. L'instant d'après, ils se retrouvent dans le magasin. Sur leur droite, un petit comptoir avec le gérant, un homme de grande taille, vêtu d'un chapeau melon chic. 

— Bien le bonjour, messieurs dames. Que puis-je faire pour vous ?

— Bonjour monsieur, tout d'abord, acceptez-vous la présence d'un nègre dans vos locaux ?

Dans un calme absolu, l'homme relève son menton.

— Sachez, mon bon monsieur, que j'ai habillé Abraham Lincoln en personne. Cela dit, on parle d'une époque précédant sa première investiture présidentielle. Je partageais sa vision des choses, dont l'abolition de l'esclavage, ça va de soi.

Cow-boy Jenny, Les Larmes De Washita, Tome 1 (En Réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant