Chapitre 14

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[Je vous présente les dernières recherches pour Alcidie, avec des choses déjà plus proches de l'idée que je me fais du personnage.]

« J'ai tant besoin de vous pour oublier les autres ! »

-Victor Hugo, Hernani


Iwan avait disparu aussi vite qu'il avait émergé de la chambre. Il possédait la consistance d'un mirage et le charme inqualifiable des songes. Le jeune homme ressemblait trait pour trait à son frère, mais son état de santé alarmant ne manquait pas de les différencier. Il était une copie délavée, pâle et maigre, fatiguée et chancelante. Aux yeux d'Héliodore, Iwan était émouvant.

— Je suis étonné que vous n'ayez pas déguerpi.

— Pourquoi l'aurais-je fait ?

— N'importe qui aurait détalé, sourit doucement Sorel. Je n'ai pas une situation des plus rassurantes et mon frère... mon frère est...

— Malade, n'est-ce pas ? Je ne suis pas médecin, mais cela ne ressemble pas à un état de fatigue passager.

Sorel déglutit. Il avait invité le noble à s'asseoir et l'ambiance était gagnée par un sérieux qui les éloignait de toutes leurs précédentes conversations. Ils s'exprimaient à voix basse afin de ne pas troubler le repos d'Iwan. Étrangement, ils n'avaient jamais été aussi intimes qu'à cet instant et Héliodore avait conscience de participer à un instant rare. Rare et infiniment précieux.

— Vous avez raison. Mon frère est très malade et les médecins ne lui donnaient, il y a quelques années encore, que quelques mois à vivre.

— Ils ignorent de quoi ils souffrent ?

— Aucun ne s'est mis d'accord sur un diagnostic et même son traitement est incertain. Il le soulage à peine.

Sorel balayait sa responsabilité et surtout les efforts phénoménaux qu'il entretenait pour maintenir son frère en vie. Les multiples travails depuis que ses parents étaient décédés, les difficultés journalières. Le jeune homme était trop pudique, trop fier, pour les exposer sans même qu'on ne lui demande quoi que ce soit. Le visage baigné par le soleil ardent de l'après-midi, il tâchait de conserver une certaine neutralité. Son homologue ignorait à quel point il s'était mis à nu en l'amenant jusqu'ici et en exposant à la fois la précarité de cette résidence et la présence ténue, discrète, mais indispensable de son frère.

— Il ne les prend plus depuis quelques jours déjà, avança finalement Sorel, à contrecœur.

— Pourquoi ?

— Ils sont coûteux et mon frère préfère ruiner sa santé que de me voir ployer sous plusieurs travails. Je l'ai toujours fait, mais j'ai perdu un de mes emplois et Iwan est plus buté qu'un âne.

Il y avait une tendresse incommensurable dans cette insulte. Héliodore dévorait son interlocuteur du regard désormais qu'il avait passé en revue tout le mobilier des lieux. Il avait soif de lui et de chacun de ses secrets. L'intérêt qu'il manifestait n'était plus uniquement physique, au désir s'ajoutait une curiosité qui n'avait rien de malsaine. Héliodore aimait le visage qu'il apercevait dans les jeux de lumière du soleil contre la vitre usée. Il pouvait presque deviner les battements du cœur de Sorel contre sa poitrine, la manière dont le sang battait contre sa carotide, les muscles qui travaillaient sous la fin voile de l'épiderme. Une mécanique qui prenait tout son sens lorsqu'on admirait suffisamment longtemps Sorel. Il paraissait plus humain sans que cela ne gâche sa beauté digne d'un songe.

La vie nous manqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant