« Quand le peuple est plus éclairé que le trône,
il est bien près d'une révolution. »
-Rivarol.
La nuit avait été infernale.
Paris, plongée dans le noir, avait vu pâlir l'aube après avoir été aveuglé durant de longues heures.
Les révolutionnaires avaient brisé les réverbères de la capitale durant la nuit tandis que les gendarmes avaient quitté leurs positions pendant la nuit. Encore une fois, Marmont s'était fourvoyé et il devenait assez net que ces émeutes ne s'en tiendraient pas là.
Pire encore, ce n'était que le début.
Alcidie était rentré chez elle après avoir raccompagné Sorel, mais ce dernier avait été incapable de supporter le vide de son appartement. Ce vide qui lui rappelait sans cesse qu'Iwan n'était plus là, que plus jamais il n'embrasserait son front avant une dure journée de labeur, que plus jamais il ne partagerait sa journée avec lui.
Que désormais, chaque verbe se conjuguait à cela, à plus jamais.
Sorel avait tourné comme un fauve dans son appartement étroit placé sous les combles de l'immeuble et avait fini par abandonner. Il n'avait nulle part où aller et si l'envie de se rendre dans le premier bar venu pour y quémander un peu d'oubli l'avait effleuré, il s'y était catégoriquement. Iwan aurait détesté ce visage de son jumeau et se prêter à ce jeu sordide revenait à rendre sa mort plus amère, plus injuste. Quitte à errer dans les rues de Paris, dans les rues encore écrasées sous une moiteur désagréable, il avait rejoint les hommes de la révolution.
Il avait trouvé une meilleure façon de s'oublier.
Il avait saccagé les réverbères, saccagé chaque source de lumière, comme si Paris en personne était le coupable. Comme s'il fallait que cette ville maudite paie pour ce qu'elle lui avait enlevé.
Des heures durant, il s'était prêté au jeu.
Au jeu grandiose de la Révolution.
Sorel avait éloigné toute réflexion jusqu'à séparer ses gestes de ses pensées, jusqu'à rendre chaque acte indépendant de toute volonté. Il n'était plus seulement un rôle qu'il endossait avec génie, mais une illusion.
Absent de lui-même.
À l'aube, quelques femmes étaient venues servir du café. Malgré l'épuisement, malgré la peur, le peuple de Paris n'en démordrait pas. Mieux que cela, chaque événement, chaque réponse de l'armée et chaque silence du roi, gonflait les âmes d'une lumière nouvelle. Un devoir envers soi-même, une obligation envers cette nation naissance. Plus qu'un royaume qui dominait l'Europe, la France se transfigurait et cette révolution, les requêtes qui en découlaient, en formait l'exemple le plus criant.
Le peuple ne voulait pas seulement du pain, mais des libertés, des droits, une justice. Le mécontentement les unifiait et si Sorel se pensait encore capable de ressentir quoi que ce soit, peut-être l'aurait-il reconnu. Alcidie, elle, le percevait jusqu'au fond de ses entrailles. Cette fierté, cette dignité, cette identité française qui s'épanouissait sous le soleil brûlant de l'été.
Qui s'épanouissait dans une fleur de sang.
Sorel s'éloigna, une tasse de café brûlante à la main. Il se laissa choir contre la façade poussiéreuse d'une vieille enseigne. La tête lui tournait et une nausée solide lui tordait le ventre. Depuis combien d'heures exactement n'avait-il pas fermé l'œil ? Depuis bien trop longtemps. Pourtant, il craignait trop le silence de son appartement pour s'y risquer une fois la nuit tombée.
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La vie nous manque
Fiksi SejarahParis, 1830. C'est l'heure des romantiques, le siècle de la fièvre, de la mélancolie, des émotions crues et des espoirs éternellement déçus. Paris est saisie par l'exaltation passionnée d'une génération insatisfaite et ivre de libertés. Héliodore e...