Chapitre 38

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[Je vous présente le dernier dessin que j'ai réalisé au sujet de La vie nous manque. Un assemblage de dessins, plutôt, sauriez-vous repérer quels sont les personnages représentés ?

/!\ La scène qui suit constitue un lemon. Vous connaissez la chanson, mais si vous n'appréciez pas ces passages, je vous invite à poursuivre avec le chapitre suivant. Bonne lecture aux autres !]

« On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ;

mais on aime. »

-Alfred de Musset.


Héliodore ouvrit la porte du petit théâtre après un bref instant d'hésitation.

Le jour se couchait et la nuit s'étalait en larges couches noirâtres. Le jeune homme ignorait si ce spectacle était infame ou grandiose. Si cette perspective le terrifiait ou non.

Il s'engouffra dans l'embrasure de la porte comme s'il craignait d'être vu, comme s'il sentait sur son dos la brûlure d'un regard. Peut-être était-ce le destin venu le cueillir dans ses habits de circonstance ? Héliodore referma la porte derrière lui et occulta l'envie de prendre ses jambes à son cou pour fuir lâchement.

Il esquissa quelques pas. L'entrée était déserte, vidée des spectateurs et des comédiens. Le lieu était comme mort, comme endormi. Arthur lui avait empressement précisé, alors qu'Héliodore brillait par son hésitation, que Sorel possédait les clés du théâtre et que personne ne viendrait les déranger. Lorsque le noble avait demandé à son invité pour quelle raison Sorel souhaiterait-il le voir, surtout après l'avoir fui avec un tel talent, Arthur avait haussé les épaules. Il se contenterait du rôle d'entremetteur et dans ce monde d'incertitude et de crainte, c'était aussi inespéré que précieux. Héliodore avait été trop ivre pour l'en remercier, mais il se promit de ne pas manquer à cet engagement.

Il s'introduisit dans la salle de spectacle. Vide, elle aussi, à l'exception d'une silhouette. Les bougies avaient été placées aux quatre coins de la scène et aux pieds de celle-ci et elles se consumaient lentement. Elles délivraient une lumière brûlante sur le corps de l'homme dressé au beau milieu des planches, entre les rideaux ouverts.

Sorel se tenait là, le geste en suspens, comme interrompu dans une tirade par la venue d'un spectateur inattendu. Il avait revêtu son costume de scène, mais il n'incarnait plus Don Carlos, roi et rival d'Hernani. Ou peut-être essayait-il d'entrer dans son rôle, mais sans succès. Une fêlure apparaissait, à la fois hideuse et troublante. Une once traversant la surface pour en dévoiler toute la complexité.

Sorel se jouait plus lui-même qu'il ne jouait un autre que lui.

Il murmurait, il psalmodiait des paroles qu'Héliodore crut décousues avant d'en comprendre le sens.

— Tout marche, et le hasard corrige le hasard. De là vient l'équilibre et toujours l'ordre éclate.

Des vers, parfois des strophes, prononcées à mi-voix. Elles n'étaient animées par aucun ordre, seulement par le poids des mots employés et par la manière dont elles faisaient écho à la réalité. C'était curieux, la manière dont Sorel paraissait minuscule au milieu de la scène vidée de son décor, même minimaliste, tout en dégageant une présence gigantesque.

Héliodore tendait l'oreille pour recueillir chaque parole déversée et n'en manquer aucune.

— Souviens-toi, si tu meurs, je meurs.

La vie nous manqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant