ACTE III - Scène 14

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Mercredi 28 Octobre, 15 : 07

<Lights up ~ Harry Styles>

Je close mes paupières et inspire un bon coup. L'air frais s'engouffre en moi par la bouche, le nez, les pores de ma peau, rafraîchissant tout mon corps et me donnant l'impression de véritablement respirer pour la première fois. Je rouvre brutalement les yeux. Une explosion de couleurs et de formes agresse aussitôt mon regard. Je les cligne plusieurs fois pour les habituer à la lumière aveuglante du soleil, et, une main placée en paravent au niveau de mon arcade sourcilière, je parviens mieux à distinguer le paysage s'offrant à moi. Un ciel d'un bleu presque trop vif pour ce mois d'octobre, des montagnes à perte de vue peintes de vert, de gris, de brun, d'orange, de rouge, d'or... Les couleurs s'entremêlent dans les vallées, dessinent les ombres, les arbres et les roches. J'admire encore quelques instants la vue, goûtant au plaisir simple de l'observation d'un paysage. Je me sens apaisée, de l'air frais dans les poumons, mille couleurs dans le regard, loin de tout. En paix avec moi-même.

« Tu viens, Beth ? »

La voix de Yun me tire de mes pensées. Je me retourne vers lui et sourit.

« Ouais, j'arrive ! »

Je me reprends ma marche sur le chemin de randonnée que nous empruntons. Mes parents ont d'abord été sceptiques lorsque je les ais supplié d'accepter que j'aille camper avec mes camarades du théâtre, mais ils ont finit par accepter. La raison ? J'ai sorti la carte « Yun », le seul membre majeur de la troupe. J'ai assuré qu'il serait là, qu'il serait responsable de nous et qu'il connaîtrait la procédure si le moindre problème viendrait à survenir. Ce n'est pas totalement vrai, bien sûr, ce n'est pas parce que Yun est majeur depuis trois mois que son sens des responsabilités est infiniment plus développé que celui du reste de notre groupe de théâtre. Mais la présence d'un adulte lors de l'expédition de la petite troupe a rassuré mes parents, et m'a permis de venir.

Il y a dix jours, nous avons fêté l'arrivée d'Iris dans le club avec une nuit d'intégration qui s'est bien déroulée... dans l'ensemble. Je suis redescendue dans le bar une dizaine de minutes après le départ d'Edward, et moi et mes amis avons joué à des jeux d'alcool stupides comme « Action ou Vérité », le jeu de la bouteille ou alors « Je n'ai jamais » jusqu'à tôt dans la matinée, jusqu'à ce que nous soyons trop fatigués pour continuer la nuit sur ce rythme. Nous avons donc rassemblés nos affaires, sacs de couchage et matelas gonflables, et avons tous grimpé sur le toit pour nous coucher. Le sol de béton était dur et la nuit froide, mais nous avons tout de même passé un bon moment, bien que je sois un peu ailleurs toute la soirée. Mes amis n'arrêtaient pas de me lancer des œillades plein d'inquiétude sans pour autant oser venir me parler, Iris en particulier, qui était clairement inconfortable. Elle se mordait la lèvre inférieure et jouait avec ses doigts ou ses tresses en me gratifiant de regards à la dérobée. Je ne l'ai pas aidée pour autant et l'ai ignoré tout le reste de la soirée, prétendant de ne pas voir ses coups d'œil à répétition. Je ne pensais pas vouloir lui parler à nouveau cette nuit : j'étais trop perdue dans mes propres pensées et sentiments pour bavarder avec les autres comme si tout allait bien – et elle en particulier. Car je dois confesser que ce que j'ai découvert vers la fin de la fête m'a perturbé davantage que je ne l'avouerais jamais.

Le dimanche matin, nous avons tout rangé avant que le propriétaire du pub ne revienne et nous nous sommes séparés pour rentrer chez nous. Comme j'avais dormi peu, ayant passé les quelques heures où les autres roupillaient à me torturer l'esprit, lorsque je rentrai chez moi, je m'écroulai sur mon lit et m'assoupis pour huit heures d'affilée.

La première semaine des vacances, je ne suis pas beaucoup sortie. Je n'ai vu aucun de mes amis et ai à peine communiqué avec eux via notre groupe WhatsApp. A la place, je suis restée chez moi et ait jouis de ma solitude, profitant de ma maison et de ma famille. Je me suis plongée dans le travail et dans les révisions pour la rentrée pour éviter de penser trop à mon crush sur Iris et au fait que j'étais peut-être attirée par les filles, finalement, et ait multiplié les sorties en famille, goûtant aux plaisirs simples d'une sortie au cinéma accompagnée de ma petite sœur ou d'un jeu de société avec mes parents. J'ai revu des classiques de comédies musicales avec ma mère, comme Les demoiselles de Rochefort, Un américain à Paris ou Chantons sous la pluie. J'ai dansé avec mon père sur des vieux tubes de disco des années 80 en riant à chaque fois qu'il effectuait un mouvement de danse des plus ridicules. J'ai pris toute une après-midi à confectionner des rouleaux de printemps avec Pogno en suivant avec attention la recette, pour au final trop cuire le riz, oublier les crevettes, rater complètement la construction des rouleaux et mal calculer les quantités, ce qui fait que nous nous sommes retrouvés à partager cinq maigres rouleaux ratés pour quatre. Au final, nous avons complété le repas avec des coquillettes au beurre, foncièrement restés sur notre faim.

Le Théâtre Du CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant