ACTE III - Scène 15

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Samedi 31 Octobre, 19 : 27

<everything i wanted ~ Billie Eilish>

« Et voilà, terminé ! » S'exclame ma petite sœur, triomphante, en finalisant mon trait d'eyeliner.

Je me tourne vers le petit miroir que Pogno me tend. Inclinant mon visage de droite à gauche pour pouvoir m'admirer de tous les côtés, je constate une nouvelle fois à quel point ma sœur est douée pour le maquillage. Chose étrange, puisqu'elle n'en met quasiment jamais.

Mon visage et mon cou sont couverts d'une épaisse couche de fond de teint blanc, qui pâlit ma peau jusqu'à la rendre cadavérique, et deux points noirs ont été tracés côte à côte sur ma gorge, censés témoigner d'une morsure faite à cet endroit. Mes paupières sont charbonneuses, couvertes de fard sombre et suivies d'un élégant trait d'eyeliner noir, et de profondes cernes ont été dessinées au crayon sous mes yeux. Pour finaliser mon look, mes lèvres sont peintes d'un rouge vermillon brillant, rappelant la couleur vive du sang venant de jaillir : me voici, prête pour la soirée d'Halloween, en parfait vampire.

Après réflexion et une discussion avec Edward durant le trajet du retour jusqu'à la voiture de Yun, j'ai décidé de me déguiser en vampire pour la soirée d'Halloween où Iris m'a invité. (Ironique, quand on pense que celui qui m'a donné l'idée a adopté le nom du célèbre personnage dans Twilight. J'avoue que quand il m'a annoncé son prénom la première fois après avoir fait son coming-out, j'étais persuadée que c'était là où il l'avait pêché). La raison est simple : un costume de vampire ne demande pas énormément d'accessoires que je n'avais ni le temps ni l'argent de me fournir. Un maquillage épais et une tenue sombre (j'ai enfilé pour la soirée un débardeur, un jean slim et des boots talonnées, tous noirs) suffisent à faire comprendre mon déguisement. Pour encore plus d'effet, je me suis lissée pendant deux bonnes heures ma chevelure bouclée, pensant que de longs cheveux lisses feraient davantage l'affaire pour le costume que mes boucles rebelles. Le résultat n'est pas vraiment satisfaisant, et je ne sais pas si perdre deux heures de mon temps valait le coup pour les mèches abîmées et épaisses que constitue ma chevelure après lissage, mais c'est mieux que rien. Je suis également passée dans la journée acheter deux fausses canines pointues que j'ai inséré sur mes dents ainsi que du faux sang que j'ai appliqué sur le bord de mes lèvres et le long de ma trachée dans une boutique de déguisements. Finalement, je suis passée chez l'opticien où Edward se fournit ses lentilles bleu électrique pour m'approvisionner également de lentilles colorées. Placées sur mes yeux, elles donnent l'impression que mes iris ont la vive couleur rouge et tourbillonnante du sang encore chaud.

Je suis parfaite. En observant ma réflexion dans le petit miroir que ma sœur m'a prêté, je constate à quel point il est étrange de voir ses yeux dans une différente couleur que celle de d'habitude, surtout si elle n'est pas naturelle. Je me demande si Edward a aussi eut cet effet quand il mit ses lentilles bleu vif pour la première fois. La différence avec moi, c'est qu'Edward a toujours vécu dans le mauvais corps, qu'il était totalement étranger à son apparence lorsqu'il a commencé à porter des lentilles. Il a fait ça pour ressembler davantage à lui-même, pas pour le plaisir bref de se déguiser le temps d'une soirée.

J'arrange une mèche de cheveux lissée, admirant le résultat encore quelque instants sur le miroir. Pogno, sa tâche de me maquiller terminée, pianote sur son téléphone, avachie sur mon lit. Elle porte un jean et un sweat-shirt de sport, pas du tout dans le thème du jour.

« T'as pas une fête d'Halloween ce soir ?

- Si, réponds t-elle sans lever ses yeux de son portable. Chez Julie. Je pars bientôt.

- Toujours pas de costume, cette année, alors ?

- Comme tu le vois ! »

Je l'observe. Ca fait quelques jours que j'hésite à lui confier le bordel dans ma tête, le pêle-mêle de sentiments confus qui me trouble depuis un mois. La semaine dernière, nous étions plus proches que jamais, vu que je ne sortais quasiment pas. Nous regardions nos vieux Disney d'enfance ensemble, testions et rations des nouvelles recettes de cuisine tous les jours et écoutions de la musique sur mon lit en lisant ou en matant nos téléphones côte à côte. Et à presque chaque moment que nous passions ensemble, j'hésitais à lui dire qu'une fille me plaisait. Juste comme ça, pas besoin d'en faire trois tonnes, une simple affirmation alors que nous re-regardions « La Petite Sirène » l'une contre l'autre sur le canapé. Et, à chaque fois, je me ravisais. Vous connaissez ce moment où vous souhaitez plus que tout au monde confier ou demander quelque chose à quelqu'un et en même temps vous ne le voulez pas ? Ou plutôt, vous avez peur de sa réaction. Du coup, vous restez pendant deux heures à discuter en hésitant à glisser une question ou une information, et au final, vous n'osez pas et êtes super déçus de vous. Alors vous vous dites « La prochaine fois ! » en sachant pertinemment que ça ne sera pas le cas. J'ignore si vous voyez ce que je veux dire, mais c'est ce que je ressens à cet instant : l'envie de tout lui dire mêlée à la peur constante qu'elle me rejette.

Le Théâtre Du CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant