Le Théâtre Du Cœur

ACTE III - Scène 19

Vendredi 06 Novembre, 07 : 52

<Use Somebody ~ Kings of Leon>

J'arrive au lycée les mains moites. Aujourd'hui, je vais présenter mes excuses à Iris, Edward et, si Zoé est présente, à elle aussi. Néanmoins, je ne crois pas que ce sera le cas, alors pour le moment, ma mission se contentera d'être se-faire-pardonner-par-ses-amis et ce week-end, si j'en ai la bravoure, j'irais sonner chez Zoé pour accomplir l'objectif se-faire-pardonner-par-sa-meilleure-amie.

Pour me donner du courage, j'ai enfilé la tenue qui me donne la pêche, salopette-short délavée sur des collants fins noirs (on est quand même en automne), T-shirt vert pomme, bonnet et Converse rouges foncés. J'ai dit qu'elle me faisait sentir puissante et invincible, comme une cape de super-héros, et aujourd'hui, je pense sincèrement qu'elle va m'être utile, plus qu'elle ne l'a jamais été. A moins, bien sûr, qu'il ne s'agisse que d'un mythe simplet construit de toutes pièces par mon cerveau encore lent et innocent de collégienne, et que cette tenue ne soit rien d'autre que deux-trois fringues confortables et plutôt jolies qui ne m'apportent pas plus de pouvoir que de m'affubler un look sympathique. Mais ça aussi, permettez-moi d'en douter.

Hier, j'ai longuement discuté avec mes parents et Pogno. Je leur ai d'abord raconté mon mois dernier dans les grandes lignes (en évitant les passages du genre cocktails alcoolisés et danse sensuelle avec Iris en soirée). Mortifiée par la gêne, j'ai trouvé le cran de leur expliquer l'arrivée d'Iris dans notre club de théâtre, mon attirance pour elle, ma jalousie maladive éprouvée pour Théo, les conseils d'Edward et tout ce qui s'en suit, jusqu'à la fête d'Halloween et la réalisation de mes sentiments pour Zoé. Durant mon récit, mon adorable (ironie) petite sœur ne pouvait s'empêcher d'appuyer mes propos de commentaires lourdeaux aussi beaufs que mon oncle Marcel après trois verres, ou encore de clins d'œil taquins aux passages les plus embarrassants. En retour, je la foudroyais de regards sombres et haineux, mais ils ne faisaient pas grands effets, ne faisant sourire ma sœurette que davantage. Heureusement, mes parents se sont rangés de mon côté, sonnant Pogno d'arrêter ses remarques pour mieux pouvoir m'entendre. Levant les yeux au ciel, ma petite sœur s'est appuyée contre le dossier de sa chaise, bras croisés, en soufflant très fort (du type oh-là-là-comme-ma-famille-est-chiante). Elle faisait semblant de ne pas écouter, mais sa mine intéressée lorsque je ne la regardais pas la trahissait.

Lorsque j'eus terminé, je voyais bien que mes parents avaient un peu de mal à avaler tout ça. Ils avaient l'air assez désemparés par mon récit, mais, à mon plus grand soulagement, ils ont caché leur gêne et ont joué les parents cool, ce qu'ils n'étaient pas, mais je leur en étais reconnaissante d'essayer. Malgré leurs masques impassibles, je percevais des lueurs mélancoliques dans leurs regards – comme s'ils réalisaient que leur fille aînée a seize ans désormais, et n'est plus un bébé. Ils ont néanmoins gardé leurs sentiments pour plus tard et se sont activés à me donner des conseils pour renouer avec mes amis et régler les soucis de ma vie amoureuse.

« Tu dois tout lui dire, a déclaré Maman. La clé, c'est l'honnêteté. Je comprends qu'il te faudra beaucoup de courage pour avouer tes sentiments pour elle, et ce sera sûrement embarrassant, mais c'est pour le mieux. Il faut jouer cartes sur table. »

Je l'ai regardé, ahurie, mes yeux verts arrondis par l'audace de ce conseil. Après réflexion, elle a raison, bien sûr. Je risque de perdre Zoé pour toujours, mais il faut que je sois honnête avec elle. Zoé ne mérite pas que je lui mente une nouvelle fois. D'accord, ce sera dur, mais c'est ce qui est à faire.

« Et après, il faudra que tu détournes d'elle, après t'être bien sûr excusée de ton comportement et que Zoé t'ait pardonné, poursuivit sagement mon père. Si tu ressens des choses pour elle qui ne sont pas réciproques, rester à ces côtés ne feront que les nourrir davantage.