ACTE III - Scène 20

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Samedi 07 Novembre, 14 : 12

<Wait ~ M83>

Ça y est. C'est le moment.

En prenant une grande inspiration, je lève le regard vers le bâtiment qui se dresse devant moi. C'est un immeuble comme un autre dans un quartier quelconque de Lyon, coincé entre deux autres bâtiments dans une rue si mince qu'on dirait presque une ruelle. Sa peinture gris terne, assortie au ciel s'étendant au-dessus de ma tête, est camouflée par des centaines de tags se superposant et moisit un peu plus chaque année. N'ayez pas la mauvaise idée, j'aime beaucoup les tags, je les trouve pour la plupart super stylés et égayant les rues parfois trop sinistres de la ville. Après tout, c'est un art aussi admirable que les autres, qui peut servir à exprimer ce que l'on ressent par autre chose que les mots, à protester contre la société ou en faveur d'une cause, ou encore à simplement créer quelque chose de beau. (Par ailleurs, j'aimerais énormément, un jour, aller dans un bâtiment désaffecté avec quelques potes pour tester mes capacités en peinture à la bombe. Je ne suis pas vraiment douée en dessin, mais qui sait, peut-être que je me découvrirais un talent caché pour le street-art ?). Mais ces tags-là étaient pour la plupart des insultes griffonnées à la va-vite dans le pur objectif de dégrader l'immeuble. Quelques uns attirent tout de même mon regard, me plaisant plutôt : un slogan « Black Lives Matter » inscrit en grandes lettres, un superbe dessin de chat tout en couleur et un clitoris souriant dessiné dans un coin.

L'immeuble où habite Zoé, au sixième étage, appartement de droite.

Je me reconcentre sur mon objectif initial : parler à Zoé et essayer de me faire pardonner. Je n'ai pas vraiment de plan pour cela : je pense que je vais simplement essayer de vider mon sac. J'ignore si je vais tout de suite lui annoncer mes sentiments pour elle où s'il vaut mieux que j'attende un peu. J'imagine que je le ferais au feeling, selon la direction que prendra la conversation.

Je dois l'avouer : j'ai envie de prendre mes jambes à mon cou et de rentrer chez moi me cacher sous ma couette. J'ai horreur de la confrontation. C'est un cauchemar pour moi, je déteste m'expliquer avec quelqu'un, désirant juste oublier ce qu'il s'est passé pour qu'on soit en bons termes à nouveau. C'est totalement égoïste, je le sais, et j'ai conscience que ce n'est pas comme ça qu'on règle les problèmes. Pourtant, dernièrement, je me suis confronté à beaucoup de monde, mes potes du lycée, ma propre famille, Edward et Iris, et je m'en suis sortie plutôt bien. Mais pour Zoé, je sais que ce sera différent. Elle compte pour moi plus que tout au monde, c'est ma meilleure amie et je l'aime – dans tous les sens du terme. Pourtant, je dois lui parler, m'excuser et lui avouer la vérité. C'est la bonne chose à faire pour nous deux. J'ai été déjà trop horrible avec elle, elle mérite mes excuses et mon honnêteté. De plus, je ne pense pas pouvoir vivre sans elle, et fuir cette conversation, c'est m'exposer à ce risque.

Je souffle profondément avant de m'avancer dans la mince alcôve qui précède la porte de l'immeuble, un interphone incrusté dans le mur gris sale. Je compose le code à quatre chiffres avant d'appuyer sur le petit bouton A en bas – Zoé a l'habitude de me donner le code de son bâtiment à chaque fois qu'il change, ainsi, je peux débarquer chez elle à tout moment (Néanmoins, mes visites restent rares, Zoé préférant traîner chez moi puisque mon appartement est plus spacieux que le sien). Je pousse la porte. Rien ne se passe, elle est toujours fermée. Avec un juron, je réessaye de taper le code, en vain, la porte ne s'ouvre pas. Je comprends rapidement la situation : ces dernières semaines, le cryptogramme a changé à nouveau et comme Zoé et moi étaient fâchées, elle ne me l'a pas fourni. Si je veux monter dans ce bâtiment et parler à ma meilleure amie, j'ai donc deux solutions : attendre que quelqu'un entre ou sorte de l'immeuble ou sonner à l'interphone.

Le Théâtre Du CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant