CHAPITRE 23 . retour à la normale .

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         Comme chaque jour , tard le soir avant de se coucher , mon père allume la radio . Accroupi , il tournait minutieusement le bouton de réglage de la station . La bribe de la voix habituelle aparaissait l'instant d'une seconde pour disparaître . Cela lui indiquait qu'il n'était pas loin de la fréquence exacte . Cette dernière changeait au fil des jours pour éviter qu'elle soit repérée et brouillée par l'ennemi .
Le voilà qu'il diminue le volume , colle son oreille un peu plus sur le cercle grillagé du haut parleur . il vient de capter la bonne fréquence  . Me voila aussitôt à l'affût , je trouvais souvent un prétexte pour bien me placer et essayer d'entendre.

_ Bba ! Tu veux un banc ? Dis-je en voyant sa position inconfortable .

Accroupi , les jambes filiformes repliées , mon père ne répond pas . La radio diffusait une voix ample et grave parfois hargneuse . Elle semblait communiquer des ordres . Certains mots revenaient souvent , liberté , dictature , égalité c'est surtout le mot "devoir "qui était récurent et sonnait  comme un ordre . J'entendais parfaitement ces termes , mais ils n'avaient aucun sens précis pour moi .
       Dans ces circonstances , il faut dire que j'avais besoin d'être éclairée . Mais personne n'était disposé à le faire . d'autant plus que je n'étais plus à l'âge où je me contentais du "parceque c'est comme ça" comme réponse à mes "pourquoi" .

    Tiraillé mon père transpirait . J'imagine que des pensées s'entrechoquaient dans sa tête . Les ordres que véhiculait la station radiophonique clandestine la nuit et les menaces qui provenaient de la station officielle le jour étaient somme toutes contradictoires .
Le lendemain personne n'osait sortir . Mon père s'était mieux préparé à un eventuel embarquement . En effet c'est ce qui s'etait passé . Le même scénario s'est répété avec la même violence .
Tôt le matin les camions s'alignaient sur la placette , les patrouilles se dispersaient dans toute la ville pour pour casser, forcer les hommes à sortir . Les instants d'après les rangs se formaient . Ces patrouilles se retiraient dans un sourd martèlement de bottes qui rythmaient les pas des soldats . On entendait avec soulagemment le bruit imposant du démarrage des colonnes de lourds véhicules de ce convoi qui signalait la fin du calvaire .
On ne savait pas combien de jours tels que celui-ci on pourrait être amené à passer . L'action déclenchée était d'une ampleur impressionnante .
Cependant Le troisièmement jour , il y avait moins de camions , moins de soldats .
La grève s'éssoufflait peu à peu , et le quatrième jour , très tôt , certains travailleurs sortaient de leurs propres grès pour éviter d'être brutalisés . La moitié des résistants reprenait timidement leurs activités .
Les boutiques étaient éventrées . Une porte sur trois n'avait pas résisté aux coups de pieds des soldats , elles étaient réparées grossièrement au moyen de planches . Ajouté à la vetusté des murs cela donnait un air plus triste que d'habitude . Les rues étaient vides . L'absence de l'animation des marchands ambulants , à elle seule suffisait pour créer la désolation .
Mon père partait tôt le matin pour revenir l'instant d'après . Les patients ne se bousculaient plus dans les salles d'attente . L'école n'avait pas repris. Tout semblait décoloré .
     L'agressivité et la tourmente des derniers jours ont laissé place à ce passage de tristesse . La vie s'était arrêté figée paralysée dans l'abattement . L'image des soldats planait sur la ville . Une atmosphère de guerre régnait y toujours
Mon père n'oubliait jamais de lancer chaque soir la radio . Il cherchait avec acharnement cette seule station qui le mettait en état de discerner les    vraies informations de celles que rapportaient les rumeurs . Les bavardages de la rue allaient bon train .
Cette semaine ne nous a laissé aucune illusion sur le début des hostilités qui allaient suivre . Pourtant la vie reprend son cours normal ou presque . On devait vivre , on vivait .

     Le lundi , début de la semaine suivante , était une journée froide d'hivers , plus précisément un jour du mois de janvier 1957 .

           Cette date ne s'était pas fixée dans ma mémoire . J'en ai le souvenir , parceque de nos jours elle figure dans les livres d'histoire les plus élémentaires . Cependant je ressens encore fortement l'amertume de ces  réveils matinaux durant ces sept jours de haine et de ces matinées mouvementées et interminables .

Le Point qui résiste .Où les histoires vivent. Découvrez maintenant