Fatiguées et essoufflées, nous atteignons enfin la maison. Dès que nous franchissons le seuil, nous apercevons mes parents dans la cour. Leurs visages sont tirés, leurs regards lourds de fatigue et d'inquiétude. Ils nous attendaient, visiblement soulagés de nous voir rentrer.
Tandis que Nora relate, avec une voix haletante, l'épisode de la Jeep qui nous a surprises sur le chemin, je reste silencieuse, luttant pour reprendre mon souffle. Pourtant, malgré ma fatigue, je ne peux m'empêcher de remarquer la petite courette. Son muret bas, si facile à enjamber, semble symboliser la fragilité de notre refuge.
Le jour commence à peine à se lever, mais un petit brasier en terre cuite, allumé par ma mère en notre absence, diffuse déjà une chaleur réconfortante. La braise rougeoyante projette des éclats de lumière dansants sur les murs, effaçant peu à peu la grisaille de l'aube. Cette chaleur familière, cette clarté douce, tout semble transformer l'atmosphère en un cocon apaisant.
Mon père, soulagé, s'adosse au mur, comme pour sentir un soutien, il ferme un instant les yeux, semble savourer cette accalmie. Respire profondément, défroisse le paquet de cigarettes qu'il tient entre ses mains, un paquet presque vide, portant les traces d'une nuit blanche. Il en extrait une dernière cigarette, qu'il allume après un long soupir.
- Et dire qu'on a failli rester coincés toute une semaine dans cette maison glaciale et oppressante... murmure-t-il. Pour le moment, mis à part la Jeep que les filles ont croisée, tout semble calme.
Il tire une bouffée, ses traits se détendent légèrement. Puis, d'un ton plus léger, il lance :
- Zohra, apporte le thé dans la chambre. Venez, les enfants, on va le partager ensemble.
Sa proposition m'étonne.
- Dans ta chambre ? m'écrié-je, presque indignée.
Il hoche la tête, un brin irrité par ma remarque. Un geste de la main m'invite à baisser la voix.
Dans la chambre de mes parents, l'ambiance devient presque festive. Une maïda a remplacé le plateau de thé. Ma mère y a disposé les restes du repas de la veille. Nous avons tous faim. L'atmosphère chaleureuse et détendue aiguise nos appétits. En savourant notre repas, j'ai presque l'impression que nous vivons un matin ordinaire, comme un jour de vacances. Pourtant, ce n'est pas le cas. Nous sommes lundi, et cette matinée est bien trop calme pour le début de semaine.
Le jour s'installe doucement, tout comme nous. La maison, avec ses plafonds bas et ses pièces étroites, inspire un sentiment de sécurité qui contraste vivement avec l'austérité de la demeure que nous avons quittée. Ce cocon modeste, comparé aux dimensions excessives et l'athmosphère indéfinissable de la lourde batisse, m'apparaît soudain comme un sanctuaire. Mes craintes s'évanouissent. Les enfants rient et chahutent. Leur excitation et leur joie emplissent la maison d'une vie nouvelle.
Je me surprends à savourer chaque détail. Cette chaleur, cette agitation heureuse, tout cela me semble infiniment précieux. Il a suffi d'une nuit difficile pour nous faire apprécier le confort habituel et nous rappeler la valeur de ce que nous tenons pour acquis.
Mes parents, eux aussi, semblent plus détendus. Leur conversation, d'ordinaire feutrée en notre présence, devient libre, presque sans retenue.
- Que va nous apporter cette grève au fond ? Si ce n'est des ennuis... soupire ma mère.
Mon père redresse la tête. Sa voix, cette fois plus ferme, tranche l'air.
- Cette grève, comme tu dis, est un acte de protestation et de révolte contre la condition de vie de tous , elle est nécessaire. C'est un moment crucial que nous ne devons pas laisser passer.

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Le Point qui résiste .
Ficción históricaC'est l'itinéraire à la fois mouvementé et émouvant d'une enfance vulnérable et tourmentée dans une petite ville du sud de l'Algérie , une paisible oasis transformée en une exploitation minière vers le début des années 1920. Malika , une petite fill...