Chapitre 36 . Premiere visite à mon père.

24 2 0
                                    

Armée d'un courage inébranlable et d'un espoir tenace . Ma mère poursuivait les visites au capitaine. Elles se déroulaient toujours de la même manière. Son discours interminable, empli de reproches et de refus, se répétait inlassablement. Ces rencontres étaient rares, car il fallait un courage inouï pour affronter ses emportements. Pourtant, dès que ma mère retrouvait un peu de force et d'espoir, elle n'hésitait pas à tenter sa chance.

Chaque fois, je subissais silencieusement le poids du désespoir, sentant le refus inéluctable arriver. Je réfléchissais beaucoup, mais je restais muette. Ma mère semblait à bout : combien de temps tiendrait-elle encore ? Ses efforts dépassaient ses limites. Je rêvais de l'aider, mais je me sentais prisonnière des injonctions qui avaient marqué mon enfance : "On ne discute pas de choses sérieuses avec les enfants. "

Ces paroles semblaient désormais appartenir à un autre temps, mais elles avaient laissé des séquelles. Je n'osais ni intervenir, ni poser de questions. Tout se passait dans mon esprit, où mes idées tournaient en boucle, souvent absurdes ou étranges. Face à l'impuissance, je retenais mes larmes. Quand je craquais, c'était en cachette, recroquevillée dans un coin, la tête enfouie dans mes bras, les genoux repliés.

Puis un matin, la magie opéra. Le facteur frappa à la porte pour remettre un mandat à ma mère : des allocations familiales. Ce n'était pas une somme importante, mais elle fit une différence immense. Tristement, quelques sous suffirent à améliorer nettement notre quotidien.

Ces années difficiles ont gravé dans ma mémoire des souvenirs précieux, comme celui-ci. Le bonheur, dit-on, n'arrive jamais seul. Et en effet, le lendemain matin, alors que je m'asseyais calmement sur la marche devant la porte, Ammi Matreg, un voisin respecté, me tendit un couffin bien garni :

_  Tiens, remets ça à ta mère, dit-il simplement.

Le couffin contenait des légumes frais, surmontés d'un morceau de viande enveloppé dans un épais papier gris. Dans un contexte où chacun peinait à subvenir à ses propres besoins, un tel geste de générosité était d'autant plus noble. Ce n'était pas seulement une offrande matérielle, mais une preuve de grandeur d'âme et de solidarité.

Quelques semaines plus tard, les visites reprirent, mais cette fois, ce n'était plus auprès du capitaine. Un secrétaire militaire délivrait deux fois par mois des autorisations pour visiter certains prisonniers, dont mon père.

Lors de notre première visite, le camp de concentration semblait silensieux, étrangement paisible, loin de l'effervescence des jours de distribution des couffins. Peu de personnes attendaient, et toutes patientaient en silence. Quand vint notre tour, on nous introduisit dans une petite pièce sans fenêtres, faiblement éclairée par une lampe. Un banc en béton, étroit mais suffisant pour deux personnes, longeait la pièce. Ma mère et moi nous y assîmes, serrées mais relativement à l'aise grâce à nos petites corpulences.

Cela faisait des mois que nous n'avions pas vu mon père de près. depuis le jour où il avait été emporté comme un criminel. Lorsqu'il entra, un homme amaigri, aux cheveux en désordre et à la barbe clairsemée, se présenta devant nous. Son visage marqué par la détresse trahissait sa condition, seuls, ses vêtements convenables lui épargnaient l'apparence d'un vagabond.

Face à notre regard, mélange de surprise, de compassion et d'émotion, mon père sembla se ressaisir. Il redressa la tête avec dignité, plia un genou et s'accroupit sur un talon, à notre hauteur. Par réflexe, ma mère lui tendit un petit paquet qu'elle avait soigneusement préparé.

_  Viens, Mila ! Tu as grandi !

Il me prit dans ses bras, ouvrit le paquet de chocolat à l'orange et m'en tendit un morceau, comme il en avait l'habitude autrefois. Nous partagions cette passion pour le chocolat, un petit plaisir qu'il aimait m'offrir en cachette.

Le Point qui résiste .Où les histoires vivent. Découvrez maintenant