C'est exténuée par sa grossesse avancée, par la chaleur accablante et par les secousses du car que Mma est arrivée au secteur aujourd'hui. J'étais presque aussi épuisée qu'elle.
Nos déplacements devenaient de plus en plus pénibles à mesure que le temps passait et que l'été s'installait. La lassitude de l'attente passive, trois mois durant, pour voir mon père libéré avait fini par éroder la détermination et la persévérance de ma mère.
De loin, nous voyions Boufelja arriver, les bras ballants, les mains vides. Le petit baluchon, ce seul indice concret de l'existence de mon père, manquait.
Mma s'accroupit. Surprise par son attitude, je l'observai. Sur son visage soudain blême, l'effroi se lisait clairement. Ses lèvres tremblaient à peine tandis qu'elle implorait Dieu sans relâche.
- Y'a rabbi ! Y'a rabbi ! Y'a rabbi... mon Dieu !
Ma mère s'attendait au pire. Tant qu'il était détenu dans ce secteur, nous craignions pour sa vie, une peur qui hantait l'esprit de toutes les familles des prisonniers enfermés là.
Boufelja avançait, et ma mère, que ses jambes avaient trahie, se releva péniblement. Plus il approchait, plus son sourire semblait inhabituel, presque rassurant. Après un rapide bonjour, il s'exprima sans détour :
_ Ça y est, murmura-t-il.
Il marqua une pause, un sourire plus franc éclairant son visage, puis continua :
_ Il a été transféré cette semaine à Ksar Djedid. Il est toujours en prison, mais rassurez-vous, c'est bien mieux qu'ici.
Il s'arrêta un instant. Devant notre stupeur mêlée d'effarement, il ajouta :
_ Renseignez-vous sur ce qu'il faut faire pour le voir.
Ksar Djedid, un quartier inhabité de Laâouina transformé en camp de concentration, servait de centre de tri. De nombreux prisonniers y étaient entassés en attendant leur jugement.
_ Je ne sais comment exprimer toute la gratitude que méritent vos efforts, dit ma mère.
Boufelja resta silencieux. Ses yeux, cependant, trahissaient une profonde compassion.
Après l'avoir chaleureusement remercié, ma mère le vit partir sans se retourner. Nous ne le revîmes jamais, mais son nom et son image sont à jamais gravés dans notre mémoire, symboles d'une bienveillance désintéressée.
Une fois remise du choc et de la nouvelle, ma mère comprit vite que cette situation nécessiterait une nouvelle organisation. Toutefois, dans l'instant, elle semblait incapable de réfléchir clairement.
Je percevais son agitation mentale non pas dans ses paroles, mais dans sa démarche et les traits égarés de son visage.De retour chez nous, les casse-croûtes remplacèrent une fois de plus le repas chaud de midi. Pendant que nous déjeunions, le visage torturé de ma mère sembla soudain s'apaiser.
_ Empêchez vos frères de sortir dans la cour, lança-t-elle. Moi, je vais voir Malek tout de suite !
Comment cette simple idée put-elle lui redonner tant d'énergie ? Malgré la chaleur écrasante de l'après-midi et la distance à parcourir, elle semblait infatigable. Quand elle revint, ce fut sur la pointe des pieds.
_ Malika ! Tu es réveillée ?
Je mis un moment avant de répondre, mais je compris vite qu'elle avait décidé de repartir pour de nouveaux périples et que je devrais l'accompagner.

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Le Point qui résiste .
Historical FictionC'est l'itinéraire à la fois mouvementé et émouvant d'une enfance vulnérable et tourmentée dans une petite ville du sud de l'Algérie , une paisible oasis transformée en une exploitation minière vers le début des années 1920. Malika , une petite fill...