CHAPITRE 15 .entre nouveautés et souvenirs. de l'utile à l'inoubliable .

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Le vent avait grondé toute la nuit. Les crochets de sécurité, qui devaient maintenir les volets solidement accrochés à leurs vieux gonds, n'avaient pas été mis en place. Pris de court par ce vent imprévu, mes parents n'avaient rien pu faire. Les battants, déjà fragilisés par le temps et le climat, claquaient violemment et risquaient de se briser à tout moment. Dehors, le vieux cyprès, jauni par la sécheresse, se tordait sous la force des bourrasques, hurlant sa détresse tout en s'efforçant de résister.
Dans ce vacarme incessant, nous ne dormions qu'à moitié. Pourtant, le vent avait cessé de souffler en milieu de nuit, car, au matin, les carreaux étaient ouverts. Probablement par ma mère, dont le visage fatigué trahissait une nuit sans sommeil.

Malgré les fenêtres grandes ouvertes, seules les rayons éclatants du soleil pénétraient dans la pièce. L'été s'annonçait déjà. Dès l'aube, la chaleur s'imposait, et l'air lourd n'offrait aucun répit. La sueur et l'étouffement avaient perturbé notre sommeil, écourtant encore une nuit déjà agitée.

À mon réveil, j'étais étendue à moitié sur le sol, dans un désordre complet de nos lits defaits . Les tapis légers n'adhéraient pas au sol, et les draps, froissés, formaient de petites boules autour de nous. Immobile, je fixais le plafond, mon regard flottant sans s'accrocher à rien.
Dans ce silence relatif, j'entendais toutefois la voix de Hamid. Assis par terre, jambes écartées, il réclamait son lait, comme chaque matin, à pleins poumons.

- H'libi ! H'libi ! répétait-il avec insistance. H'libi voulait dire " mon lait "

Ma mère, absorbée par ses tâches, l'ignorait. Silencieuse, elle vaquait au plus urgent , elle balayait le sable que le vent avait déposé jusque dans la cuisine. Les deux cours présentaient une image de désolation : feuilles mortes, poussière, tout témoignait de la violence de la nuit. Le nettoyage s'annonçait ardu.

Après avoir passé une partie de la matinée à jouer avec les petits, j'observais ma mère, qui venait de terminer l'intérieur et s'apprêtait à nettoyer la cour. Soudain, on frappa à la porte.

- Qui est-ce ? demanda-t-elle.

- C'est moi, répondit la voix de mon père.

Ma mère comprit aussitôt qu'il n'était pas seul. Elle s'éloigna pour céder le passage, selon une règle tacite entre eux.
Dans notre maison, comme dans bien d'autres, un signal d'alert . Généralement une toux bruyante ou un mot tel que ettreg "passage" suffisait pour que les femmes se retirent rapidement à l'abri des regards masculins. Cette règle non écrite ne tolérait aucune exception.

Comme à mon habitude, je courus vers la porte. Derrière mon père, deux hommes transportaient un petit meuble blanc. Ils le déposèrent précipitamment dans la cuisine avant de repartir sans tarder.

- Zohra, viens voir ! Appela mon père avec une fierté à peine contenue. Tu vas pouvoir boire de l'eau bien fraîche cet été. Enfin, je n'aurai plus besoin d'acheter des légumes tous les jours. Et on mangera des fruits qui restent frais !

C'était notre nouvelle glacière. Je posai doucement ma main sur son bois blanc, lisse et éclatant.

- Ne touche pas !, s'exclama ma mère en l'ouvrant.

- Tiens, dit-elle, surprise. L'intérieur est recouvert de métal. Je me demandais comment cette glaciyire pouvait contenir de la glace si elle est en bois.

Mon père éclata de rire. Sa bonne humeur revenue, il se mit à taquiner ma mère sur sa manière de prononcer les mots français.

- Alors, c'est ça, la "glaciyire" que tu voulais ?

Le Point qui résiste .Où les histoires vivent. Découvrez maintenant