Le silence pèse dans le tribunal. Plus personne ne prononce un mot, à la recherche du vrai et du faux dans les paroles d'Elias. Le peu de mon parcours en fac de droit me suffit à savoir qu'il vient de nous fourrer dans un bourbier sans nom. Le monde judiciaire est un monde où la pitié n'existe pas. S'ils peuvent se servir du moindre détail pour nous faire plonger, ils le feront. La fourberie à l'état pure... Mes paupières se ferment un instant pour que je reprenne mes esprits. Je ne peux pas céder à la panique. Ce serait une catastrophe... Elias ne semble plus savoir où se mettre tandis que les regards de l'assemblée voyagent entre nous, sans discrétion. Je me vois déjà avec une amende faramineuse que je serais incapable de payer. Alors les services sociaux viendraient me retirer Clarisse, ma raison de vivre... Et je n'aurais plus qu'à me laisser mourir. Mes yeux me piquent et, finissent par laisser une larme couleur. Je ne peux pas accepter que ce scénario se déroule. « Elias, reprends-toi, bordel », me répété-je silencieusement. Je me mordille l'intérieur de la joue en espérant que cette douleur soit plus forte que celle qui me ronge de l'intérieur. L'idée que je doive agir m'envahit et, sous l'impulsion, je prends la parole.
— Monsieur le Juge, puis-je prendre la parole ?
Moi aussi, je peux être source de surprise. Alors qu'il me donne son autorisation, Elias se tourne dans ma direction. L'incompréhension se lit sur son visage, et je le vois me supplier de faire attention à ce que je vais dire. Tout son corps parle pour lui : ses sourcils haussés, son regard ébahi, sa lèvre intérieure coincée entre ses dents. Dans un soupir, je lui adresse un sourire qui se veut rassurant alors que je me sens dévorée par la peur. Moi qui ai appris à être discrète, je me retrouve sous les feux des projecteurs, entourée de requins prêts à me mettre au sol à la première occasion.
— Je suis responsable du lapsus de Maitre Evans, déclaré-je avec des trémolos dans la voix. Lors de nos premiers rendez-vous, je me sentais bloquée, m'ouvrir traduisait ma faiblesse et, je ne voyais pas comment il pourrait me sortir de-là. J'ai commis une bêtise, je continuerai à le dire haut et fort. Je ne prévois pas non plus de sortir ici sans en payer les conséquences, vous savez... Mais Maitre Evans a réussi à fissurer cette carapace autour de moi pour me tendre la main, et vous savez, ces personnes qui viennent vous aider sans rien en retour elles sont rares dans la société actuelle où la règle reste l'individualisme, le chacun pour sa poire.
Mes mots s'enchainent, glissent sur ma langue et résonne dans la salle sans que je ne puisse les contrôler. J'en oublie presque de respirer. Si je m'arrête maintenant, mon courage risque de s'envoler. Mes pieds restent ancrés dans le parquet, mais mes prunelles croisent chacune des personnes présentent. Ce matin, je ne fuirai personne. La vérité sur ce triste monde éclatera. Je ne ferai probablement pas changer les choses, mais rien ne m'empêchera d'apporter ma pierre à l'édifice. L'adrénaline coule dans mon sang, et lorsque je capte le sourire d'Elias, je me sens pleine de confiance. Il s'est mis légèrement en retrait, mais je sais qu'à la moindre difficulté, il volera à mon secours.
— Alors, oui, Maitre Evans vient de m'appeler par mon prénom, mais ne l'incriminez pas pour si peu. Je sais à quoi vous pensez... Un conflit d'intérêt, mais il n'en est rien, mentis-je avec aplomb. Je vous demande d'y voir là la confiance née avec mon avocat.
— Madame, soufflez un coup, m'interrompt le Juge. Je pense que Maitre Evans vient de nous surprendre par cette petite erreur, mais rien de dramatique ; il y aurait un conflit d'intérêt s'il était l'avocat de Monsieur Duchateau. Ne soyez pas si angoissée !
J'ai l'impression de me prendre un saut d'eau glacé sur la tête. S'il n'y a aucune conséquence juridique, rien n'explique la réaction d'Elias, la panique qui l'a traversé, le ridicule de la situation dans laquelle je me trouve. Au moins, une fois lors de ma minable existence, mes cours m'auront servi et j'aurai pu défendre quelqu'un dans un tribunal. Pour rien, mais l'importance n'est pas là. Je l'aurai fait. Mes boyaux se tordent sous l'incompréhension et la détresse. Je suis là, au centre de cette immense pièce où personne ne réagit. Mon cerveau disjoncte entre l'attitude inexplicable d'Elias et l'attente de mon verdict. Je veux disparaitre. Mais je ne peux pas abandonner Clarisse. Je ne le souhaite pas non plus, loin de là, pourtant je me rends à l'évidence que je ne lui apporterai pas grand-chose dans la vie. Simplement de l'amour... Et non, contrairement à ce que les dessins animés nous font croire, on ne peut pas vivre d'amour et d'eau fraiche. Pas dans cette société.

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Seconde chance
RomanceSi Lya, mère célibataire de 27 ans, avait su que voler dans un magasin l'aurait remise sur le chemin d'Elias Evans, elle se serait abstenue. Maintenant que les dés sont lancés, elle va devoir composer avec. Mais seront-ils capables de collaborer en...