7. Lya

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A genoux, penchée par-dessus le bord de la baignoire, je récure. De nombreuses traces blanches, noires et, même rouges, sont incrustées dans l'acrylique. Je ne veux pas savoir ce qu'ils y ont fait ; ça me dégoute. Rien ne les empêche de rincer leur bain après utilisation, mais il est vrai que laisser la femme de ménage se démerder s'avère plus simple. Depuis deux heures, je croule sous la crasse. Entre la cuisinière grasse de partout, la terre présente jusque dans les chambres, les tasses oubliées dans tous les coins et les chasses des WC qui n'ont même pas été tirées avant mon arrivée, je comprends que ma collègue soit tombée malade. L'odeur flottante dans cette maison suffit à me donner des haut-le-cœur. Par la posture imposée, mon dos me tiraille, tandis qu'une crampe s'invite dans mon mollet droit.

— La salle de bain n'est toujours pas finie ? Dépêche-toi ; j'aimerais que les chambres de mes fils soient rangées et nettoyées. Il faudra aussi changer les draps.

— Oui, Madame, réponds-je le plus gentiment possible, bien que son ton supérieur presqu'insultant commence à m'irriter.

Elle passe sa tête au-dessus de moi, puis rajoute sans gêne :

— Ce n'est pas encore propre : le bord du joint ne brille pas. T'es payée pour récurer. Exécution !

— Je suis employée pour nettoyer, mais vos crasses effleurent le manque de respect, murmuré-je.

Je ne doute pas ; elle m'a entendue, mais préfère fuir et retourner à sa manucure dans le salon. Par peur d'être virée de mon travail, qui reste tout de même une maigre source de revenu, je m'applique à faire disparaitre le moindre grain de poussière. Puis, je monte à l'étage où un capharnaüm sans nom m'attend. Quand je pense que les allocations de chômage me rapporteraient plus, mais que je m'évertue à garder mon emploi par question de principe. Face à ce bordel, je me demande pourquoi je continue à m'infliger cet enfer. Surement, une once de sado-masochisme en moi. Je soupire en ramassant les caleçons sales qui m'accueillent déjà sur le palier. Ecœurant, et ça ne s'arrange pas quand je pénètre dans la chambre du plus âgé. Je ramasse les vêtements pour les mettre à la machine, Inutile de trier, même ceux qu'il n'a peut-être pas mis se sont mélangés aux autres. Ensuite, j'attaque le bureau, jette les restes de chips, vide les canettes encore à moitié remplies. Le tout valse à la poubelle. J'aspire, astique, frotte jusqu'à ce que ça scintille et sente le frais. Dans la chambre du second, je reprends le même travail. Il a beau être plus jeune de deux ans, il n'en est pas moins ragoûtant. De vieilles taches blanches décorent ses draps, les draps d'un adolescent de quinze ans ; je peux deviner leur provenance. Du bout des doigts, j'en forme une boule que je lance dans le couloir. Une fois que l'odeur de propre embaume la pièce, je la quitte pour achever mon travail de la journée dans la chambre du cadet, mais un vieux relent de transpiration me prend aux tripes. Si bien que je me précipite pour ouvrir la fenêtre, impossible que je nettoie dans ces conditions. Je vomirais sur le lit de cet enfant. Qui malgré l'état de son espace ne l'aurait pas mérité. Quant à sa mère, elle, en revanche, je ne comprends pas qu'elle puisse tolérer cette saleté omniprésente dans sa maison. Je deviendrais dingue à sa place, mais surtout, j'apprendrai à mes progénitures, le maniement de la serpillère ainsi que le fonctionnement du lave-linge. S'ils parviennent à utiliser leur portable, il n'y a aucune raison que l'électroménager leur pose soucis. J'en viens même à parler comme une dame de cinquante ans.

— Voilà qui semble mieux, contemplé-je l'étage d'un air satisfait.

— Il fait un froid de canard, ici, gronde Madame dans mon dos. Ferme donc ces fenêtres ; je ne chauffe pas la rue pour les SDF !

Je me mords l'intérieur de la joue à m'en faire saigner. Quelle poufiasse !

— Peut-être, mais aérer, c'est minimum deux fois vingt minutes par jour, vous savez. Vu l'odeur nauséabonde, vos fils vivent dans le même air pollué depuis près d'une semaine ! M'enfin bon, j'ai fini et, mes heures le sont tout autant. Au revoir, Madame !

Seconde chanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant