14. Lya

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24 mai 2003

Face au commissariat, j'hésite. Du haut de mes dix-sept ans, j'ai entre les mains la vie d'un homme ainsi que la mienne. Quoi qu'il en soit la décision m'appartient, je le sais, mais comment agir lorsqu'on connait le risque : soit, je me rétracte et, Elias Evans peut poursuivre sa vie, ses rêves, ses études sans problème, soit je vais jusqu'au bout pour me soulager. La paume sur la porte, je redoute de pénétrer dans la bâtisse, de bouleverser mon existence et de le regretter dans des années. Mon cœur bat la chamade. Un frisson parcourt l'échine de mon dos. J'inspire une dernière fois, puis rentre, accueillie par cette salle d'attente angoissante. Le fait qu'il n'y ait personne me rassure légèrement, alors que je m'approche de la secrétaire, celle qui était déjà là samedi, lors de ma première venue. A petits pas, je m'approche de son bureau décoré d'une plante fanée depuis au moins plusieurs jours. J'hoquète face à elle incapable de parler, ma gorge se noue, coinçant les mots au travers de ma gorge. Pourtant, je m'étais préparée : je sais ce que je dois dire, mais je doute. Dans le fond, ma décision est prise et, demeure la meilleure. En revanche, l'éventualité d'un regret me terrorise.

— Bonjour, me sourit la secrétaire. Mademoiselle Martins, vous allez bien ? Vous êtes toute pâlotte. Asseyez-vous, je vais vous chercher un verre d'eau.

N'ayant pas la capacité de la contredire, je lui obéis et m'affaisse sur la première chaise, le visage dans les mains. Mes coudes s'enfoncent dans mes cuisses, alors qu'un mal de crane commence à se pointer l'air de rien, comme si je ne me sentais pas vaciller, à deux doigts de basculer au fond du gouffre. Je m'efforce de me concentrer sur ma respiration pour la calquer sur l'oscillation de l'horloge. La maitrise de mon corps me maintient sur place, m'aide à me contenir. Je sais qu'à l'heure actuelle je serais capable de tout envoyer valser. Mes cours. Mon entourage. Ma vie. Et surtout, Elias Evans. La secrétaire revient m'interrompant dans mes pensées, puis s'installe à mes côtés. Je laisse l'eau couler dans mo œsophage avant de rejoindre lentement mon estomac. Je sens chacune de gouttes froides s'insinuer dans mon corps. Si seulement je pouvais me noyer en buvant... Ma peine s'apaiserait en même temps, laissant la douleur qui me broie de l'intérieur s'éteindre. Elle ne m'incite pas à parler, alors je reste silencieuse. De toute façon, nous sommes seules dans la pièce avec pour unique compagnie le fantôme de ce 19 mai qui flotte au-dessus de moi. Qui me tire vers l'arrière, me coince et me torture. Je ne sais plus que faire. Je me sens abandonnée, terriblement seule, alors que mes nerfs craquent. Les larmes se mettent à ruisseler sur mes joues sans que je ne puisse les contenir. Quant à mon être, il tremble.

— Je veux revenir sur ma déposition, lâché-je entre deux sanglots.

— D'accord, m'annonce-t-elle. Mais avant, vous allez reprendre vos esprits parce qu'il faut que vous soyez certaine de vous. Oser porter plainte pour une agression sexuelle est difficile et, il ne faudrait pas que vous fassiez machine arrière par peur...

J'hoche la tête consciente de ce que je m'apprête à faire. Mais je ne peux pas ruiner sa vie. Il est trop jeune pour ça. Puis, je ne crois pas qu'il m'ait agressé. Je ne le vois pas ainsi. Alors, oui, je dois retirer cette plainte.

*****

Me voilà assise sur la même chaise que cinq jours auparavant, dans la même salle, face à la même policière. Je n'ose pas la regarder, alors je me concentre sur la moquette grise. J'ai l'impression que mes poumons se retrouvent comprimés dans une cage thoracique trop petite qui les écrase jusqu'à m'empêcher de respirer. Mon corps se verrouille par de nombreux nœuds qui se forment dans chacun de mes muscles. Je ressens mon état de tension jusque dans ma mâchoire, actuellement, douloureuse tellement mes dents restent serrées.

Seconde chanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant