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Je cuisinais pour tous le monde, j'avais toujours voulu mettre la main à la pâte quand j'invitais mes potes et ma mère, si pendant longtemps, elle m'avait foutu des coups de torchons, j'avais fini par lui avouer que c'était pour aider, parce que j'imposais mes potes aux repas. Et depuis, j'avais eu accès à la cuisine, j'avais même eu droit aux livres de recettes et c'était le feu. Du coup, profitant que les gars dormaient, ma mère épluchaient les légumes pour la Daube. 

On disait rien mais je sentais son regard sur moi, et je savais qu'elle savait qu'il y avait un truc de grave dans ma vie. L'instinct maternel sans doute. Mais j'arrivais pas à me faire à l'idée de lui annoncer que j'avais une go depuis deux ans, que je l'avais foutu enceinte mais que son frère nous la refaisait à la Roméo et Juliette, au point que je pouvais plus l'approcher. 

- Mickaël, soupira finalement la daronne

Et je saurais pas dire si c'était le ton de sa voix ou autre mais comme un gamin, je m'étais mis à pleurer, devant mon plat à la tomate. Je faisais bien pitié. J'étais trop en vrac, en ce moment. La voix de ma grand mère raisonna dans la maison et j'entendais mon daron lui demander d'attendre un peu et je l'en remercierais jamais assez : pleurer dans les bras de ma mère, c'était déjà relou à trente pige alors dans ceux de ma grand mère, j'assumerais jamais. 

- Qu'est-ce qui t'arrive mon grand ? Tu sais que tu peux tout me dire, j'encaisserais, elle murmura 
- J'suis amoureux, je marmonnais dans mes sanglots 

Je sentis directement ses mains se poser sur mes joues barbues et m'éloigner de son petit corps : je faisais une tête de plus qu'elle et pourtant, j'étais parfois encore intimidé de montrer mes faiblesses devant cette femme. Elle frotta mes joues et m'offrit un sourire pour m'encourager.

- C'est long, maman, genre, vraiment, je prévenais
- J'ai to-
- Mickaël, tu pleures ?
s'étonna ma grand mère en arrivant malgré l'air désolé de mon père 

Je poussais un soupire et leur indiqua d'aller s'assoir, amenant des verres et de quoi se rafraichir sur la terrasse alors que j'embarquais mon paquet de clope, m'en allumant une malgré les grognements de ma grand mère. Je tendais le paquet à mon père qui l'accepta et je m'enfonçais dans le fauteuil de la chaise de jardin, fixant la mer à l'horizon.

- Cette fille t'a brisé le coeur ? tenta ma mère 
- C'est plus compliqué que ça ... 
- Tu l'as mise enceinte ?
le ton empli de frayeur de ma grand mère me fit perdre mes moyens 

Et là aussi, je m'étais cramé parce que ma mère se redressa et me colla une gifle comme j'en avais pas eu depuis des années : la dernière c'était surement quand elle était venu me chercher au comico pour détention de drogue parce que j'avais entrainé Jekh dans mes conneries. Encaissant comme je pouvais, je me renfermais alors que mon père essayait de temporiser. J'avais rien dit que je me faisais gifler, j'étais pas sûr de vouloir parler et la grande main de mon père s'abattit sur ma nuque.

- Pour qu'il pleure, vous pensez pas que ça mérite des explications de sa part avant de s'énerver ? marmonna-t-il d'une voix si rauque : je tenais ça de lui. 
- Tu tolères qu'il mette enceinte une fille toi ? 
- Maman
, soupira l'homme, il a presque trente ans, ce n'est plus un enfant. Mickaël, explique toi avant qu'elles ne fassent plus de vieux os. 
- Je suis, enfin, je sais plus trop, mais ça fait depuis deux mille douze que je côtoie une meuf. Elle s'appelle Irène, et officiellement, ça fait que depuis deux mille quinze qu'on est ensemble
, je me mordis la lèvre en voyant l'air blessé de ma mère et de ma grand mère. Le truc, c'est qu'Irène, c'est la soeur de Ken, tu sais, Nekfeu, je précise pour ma grand mère qui hoche la tête, et Ken, il accepte pas qu'on touche à sa soeur et on lui a jamais dit que c'était sérieux avec Irène, il savait même pas du tout que je côtoyais sa soeur avant les festivals. 
- Tu donnes trop de détails
, râla la vielle femme 
- J'ai dit que c'était compliqué, si vous avez pas toutes ces infos, c'est avec ta canne que tu vas me caner. 
- Il s'est passé quoi aux festivals ?
me recentra ma daronne 
- Irène était au téléphone et elle a apprit qu'elle était enceinte, sauf que Ken aussi, du coup. Et moi aussi. Et Ken a vrillé quand il a compris que c'était moi et depuis, il a mis un bracelet carcéral à sa soeur et deux chiens de gardes sur ses côtes. Elle répond pas aux appels et moi, j'ai l'étiquette du traitre sur le front avec interdiction de m'approcher à moins de deux kilomètres. 
- Tu vas avoir un bébé ? 
- J'sais pas, le problème, c'est qu'il m'a viré du tourbus direct quand il a appris et j'ai pas plus discuter avec Irène, je sais pas ce qu'elle veut en faire. J'aimerais qu'elle le garde mais j'ai aucun moyen de lui faire savoir ... 
- Mais ce Ken, il a des raisons d'être en colère ? 
- Pas vraiment, enfin, je crois que je serais un peu comme lui si j'avais eu une soeur mais ce qu'il me soule, c'est qu'il a pas prit la peine de nous écouter, il a juste tiré ses conclusions en mode "J'utilise sa soeur pour me vider les couilles et comme elle est jeune, elle, elle le voit pas et maintenant, elle se retrouve avec un marmot". 
- Elle est jeune ? 
- On a sept ans d'écart
, je baisse la tête
- L'amour n'a pas d'âge. Avec ton grand père, on avait neuf ans d'écart et pourtant, ça a été le seul et unique homme de ma vie. 

Je souriais à ma grand mère qui venait de me caresser la joue dans un geste tendre. 

- Et du coup, c'est parce que tu peux voir ta copine que tu pleures comme ça ? demandais mon père sans aucun tact 
- Mais non pardi ! C'est parce qu'il aime cette fille, qu'elle est enceinte de son bébé et qu'en plus, elle est inaccessible, t'écoute rien Papa ! 

Max venait de faire son entrée. Mon vieux grogna en l'insultant de petit con et ça me faisait sourire. Ma mère me jeta un regard inquiet. 

- Mickaël, tu n'as vraiment aucun moyen de savoir ce que cette fille veut faire pour ce bébé ? 
- S'il la retrouve, c'est vous qui le retrouverez six pieds sous terre. Les deux gars qui gardent la princesse ne sont pas des enfants de coeurs. 
- Mais c'est égoïste
, murmura ma mère peinée, tu ne peux même pas- Perdre un enfant désiré, même si tu n'as aucun pouvoir de décision sur celui d'une futur maman, tu as le droit de le vouloir, c'est dur de-

J'hochais la tête parce que je comprenais ce qu'elle voulait dire, mes parents avaient perdu un bébé après Jekh et on était suffisamment vieux pour se souvenir d'à quel point c'était dur pour eux. Ma mère avait fait une fausse couche à six mois et même si c'était une grossesse à risque parce qu'elle était dans la quarantaine, ils l'avaient tellement voulu qu'ils avaient dû faire un deuil complet. Comme Idriss et Jude. 

Je la comprenais, elle s'inquiétait pour moi, parce que j'avais jamais caché mon envie de paternité et qu'on ne savait pas de quoi demain était fait. Les voix des gars se faisaient entendre dans la maison et on s'arrêtait de parler de ça : ce bébé perdu n'était connu que du cercle très proche et je respectais la décision de taire cette perte alors je tcheckais mes deux chauves. 

Eff souriait aux compliments de ma grand-mère qui était clairement son chouchou, j'avais jamais compris pourquoi, mais c'était drôle à voir, la veille femme lui faisait clairement du charme voire du rentre dedans et avec Jazz on se foutait trop de sa gueule. Ivan me donna un léger coup dans le genoux.

- Ça va toi ? 
- Mieux
, j'avouais, merci d'avoir fait la route.
- T'es aller dormir un peu ?
je secouais la tête
- J'ai préparé la bouffe mais je te jure que j'ai bien dormi dans la voiture. 

Ivan se contenta d'hocher la tête en s'allumant une clope et je remerciais intérieurement de l'avoir : il s'inquiétait de mon état et mon reuf et Eff aussi, et je me disais que j'avais au moins pas tout perdu. C'était déjà pas mal. 

Fin d'après-minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant