Princes & Dragons

Chapitre 1

Khalid n'a pas peur de sortir seul dans la rue. Au contraire, il se sent bien plus en sécurité au milieu d'une foule qui ne le reconnais pas, qui ne devine pas son statut de prince et ses origines à moitié fodlanaise, qu'au cœur du palais où il a l'impression d'être la cible de tous. Il est leur mouton noir ou blanc, enfin tout est une question de point de vue.

Ses parents sont encore en déplacement. Une rencontre diplomatique dans une région éloignée du nord-ouest d'Almyra. Il paraît que là-bas le désert de sable se transforme en désert de glace et qu'on y vit très mal. Tout ça lui semble très difficile à imaginer, il a lu des livres sur le sujet, mais la vérité est qu'il n'a jamais eu froid, faim, et que malgré le désert qui entoure la capitale d'Almyra il n'a jamais été assoiffé.

Quoiqu'il en soit en attendant le retour du roi, le chah d'Almyra, et de la reine, son épouse, il se sent seul et terriblement vulnérable au palais, chez lui. Cet endroit devrait le protéger de l'extérieur et pourtant il s'y sait en danger. Il ne se rappelle pas de l'âge qu'il avait la première fois qu'on a tenté de l'assassiner, du poison versé dans la boisson de son goûter. Il a failli en mourir, tout le personnel a été renvoyé et certains exécutés, mais le commanditaire n'a jamais été identifié, comme à chaque fois.

Ce fut la première tentative d'assassinat d'une longue liste. Depuis il surveille ses arrières, évite toute forme de routine et surtout ne reste jamais très longtemps entre les murs du palais. Ses parents enverront ses tuteurs le réprimander quand ils l'apprendront, s'ils l'apprennent. Ça n'a pas d'importance, tout au plus le chah, son père, viendra le voir pour lui rappeler ses devoirs de prince, et si Khalid ne joue pas assez bien la comédie, si son visage d'enfant repenti ne suffit pas à le calmer, il trouvera une façon stupide de le punir. Punition qu'il évitera en mettant quelques pièces dans la poche d'un des serviteurs du palais.

La foule devient de plus en plus dense et Khalid entend devant lui les gens s'exclamer de surprise et applaudir à intervalle régulier. Un spectacle de rue se déroule à quelques pas de lui. Il est trop petit pour voir ce qu'il se passe et se faufile entre les gens pour s'approcher au plus près de la place.

Devant lui plusieurs personnes font des acrobaties, il y a des jongleurs et des équilibristes. Rien qu'il n'a pas déjà vu faire durant les grandes réceptions qu'organisent ses parents. Une femme s'avance se met à danser avant de faire naître une immense langue de feu qui danse autour d'elle. La foule applaudit émerveillé par le petit tour de magie, lui sourit. Cela lui rappelle sa mère, la reine des démons comme il l'appelle. Il est certain que si elle pouvait elle cracherait des flammes.

Il n'est pas tant effrayé par son père, mais si sa mère décide de s'en prendre à lui il aura toutes les raisons du monde de chercher à fuir le palais. Elle déteste déléguer et si elle décide d'une punition elle fera en sorte qu'il s'exécute et devant elle. La dernière fois qu'il a fait rentrer sa jeune wyvern dans sa chambre, une espèce de reptile dont les pâtes avant sont d'immenses ailes griffues, elle a surpris l'animal, effrayé par sa mère il a tenté de fuir et a dévasté les rideaux. Il a dû les recoudre à la main devant elle, d'épais rideau à motif, cela lui a pris plusieurs semaines. Son poignet le lance rien que d'y repenser.

Il soupire, ses parents lui manquent et le spectacle de rue n'a rien d'original. Il a l'age de les accompagner pourtant ils ont tout les deux décidé qu'il était plus sûr pour lui qu'il reste. Ils n'ont pas confiance en lui, ou ont honte. Khalid ne sais pas ce s'il préfèrerait, que ses parents s'inquiètent pour lui et ne le pense pas capable d'assurer sa propre protection ou que le chah ait peur que son fils l'embarrasse et affaiblisse son image de chef sur les territoires difficiles du nord d'Almyra.

Il s'apprête à faire demi-tour quand il entend un grondement et la foule se taire. Les personnes autour de lui se reculent. Il sent la tension monter, il regarde par-dessus son épaule. Un homme à la tunique blanche rutilante et dont le shāl, une ceinture en tissu, est finement brodé, s'avance au devant de la foule. Ses vêtements indiquent qu'il est certainement le chef de cette troupe. Derrière lui une cage, couverte d'un drap noir, émet d'étrange grognement. Il attend d'avoir l'attention de son public et dans un geste théâtrale soulève le tissu.

À l'intérieur se tient replié sur elle-même une large créature recouverte d'écaille. "Perle ?" Les mots lui ont échappé, il a cru un instant apercevoir sa petite wyvern blanche, la seule dans son genre. Mais cela ne peut pas être possible. Perle est en sécurité dans les étables du palais et ce qu'il a devant lui n'est pas une wyvern. L'animal, recouvert d'écailles blanches, se tient sur quatre fines pattes abondamment griffues et porte une immense paire d'ailes qu'il a dû mal à faire tenir entre les barreaux de sa cage. Il grogne tout en se repliant sur lui-même chaque fois que le présentateur se rapprocher.

"Mesdames et messieurs, n'ayez craintes ! La bête est sous contrôle. Voici un jeune dragon, une créature mythique venu de contrée étrangère. Un dragon adulte fait la taille du palais et son ventre pourrait sans aucun doute tous nous y contenir. Ses dents n'auraient aucun mal à nous réduire en charpie et voyez ses griffes !" Tout en parlant il montre les différentes parties du corps de l'animal qui semble terrorisé par le bâton qu'il tient nonchalamment. Son cou enchaîné ne permet pas à la créature de se retourner et de se cacher de la foule qui l'observe médusée.

Khalid a mal au ventre rien que d'imaginer le traitement qu'a dû subir cette créature pour finir apeurée au fond d'une cage. Il déglutit difficilement et s'éloigne de la place dégoûtée de ce qu'il vient de voir.