Chapitre 13
Mars-Avril 2006
Près d'une semaine après la réunion, Lina se rendait à Montréal, au poste de police avec Denis. Entretemps, ce dernier avait suivi une séance d'hypnose avec Pascal, mais qui n'avait malheureusement rien donné.
― Si tu le veux bien, on pourrait en faire d'autres, avait-il proposé. Il se peut que ça prenne un certain temps avant que ça donne des résultats.
― D'accord, on peut essayer.
― Tu n'es pas obligé d'accepter, Denis, avait ajouté Pascal avec un sourire bienveillant. S'il y a des choses qui te déplaisent ou que tu n'as pas envie de faire, tu as le droit de refuser. Je vois bien qu'on t'a pris en main depuis que tu es entré dans la Société et qu'on t'en demande beaucoup. Ne te sens donc pas mal de dire non lorsque tu n'es pas à l'aise avec quelque chose.
― Non, pas de problème, je tiens à le faire, l'avait rassuré Denis.
― Bien, alors, je te suggère de revenir dans deux semaines. Je suis bien content, tu progresses vite. Tu t'es débarrassé de ta dépendance aux somnifères assez rapidement, tes visions semblent moins te troubler et d'après ce que je comprends, tu aurais un meilleur contrôle sur tes pouvoirs. Anaïs m'a dit que tes sens, quand tu es en décorporation, commencent à se développer et que tu peux percevoir davantage de choses. J'ai bien hâte de voir jusqu'où tu iras.
― Moi aussi.
Denis arriva au métro Parc et sortit à l'extérieur. Il avait rendez-vous avec Lina sur la place publique, tout près de l'ancienne gare. Lorsqu'il arriva, elle était assise sur un banc, les yeux mi-clos, et avait retiré le gant de sa main droite où elle tenait une tuque verte. Elle caressait cette dernière entre l'index et le pouce, l'air concentré. La femme exubérante et expressive, dont la voix tonitruante portait à des kilomètres, semblait tout à coup si calme, si renfermée. Entrée si profondément en méditation, à l'intérieur d'elle-même, peut-être, qu'elle paraissait dans un ailleurs lointain. Un endroit qu'elle seule connaissait. Le contraste était saisissant. Denis ne l'avait jamais vue en pleine action. Lina était si différente. Comme si elle portait un masque ou qu'elle avait une double personnalité. Denis s'approcha à pas feutré.
― Heu... Lina ?
Elle ouvrit les yeux et se tourna vers lui. Son visage, qui était resté impassible, s'illumina d'un large sourire. La femme expansive venait de refaire surface.
― Denis ! Comment vas-tu ?
― Bien. Heu... qu'est-ce que tu faisais ? demanda-t-il en pointant la tuque du menton.
― Ho... ça. Je l'ai trouvée par terre, il y a un instant. Je me réchauffais avec... pour tout à l'heure.
Denis se doutait qu'elle ne parlait pas de la température. Il s'assit à ses côtés.
― Tu te réchauffes ? Comme un exercice ?
― Exact. Question de ne pas perdre la main. Je dois me pratiquer régulièrement.
― Et qu'as-tu vu ?
― L'homme qui portait cette tuque s'appelle Christophe Mateta, répondit Lina. Il était pressé aujourd'hui. Il se rendait au complexe Guy-Favreau, au bureau de Passeport Canada. Il vient de République démocratique du Congo, mais est ici depuis près de 10 ans et veut retourner d'urgence au pays pour sa mère qui est malade. Il est inquiet, à cause des problèmes politiques en ce moment avec le gouvernement de transition. Et il s'est aperçu que son passeport allait expirer alors qu'il serait hors du Canada. Alors, il est parti à toute vitesse pour le faire renouveler et partir en Afrique au plus tôt.
― Tu as su tout ça rien qu'en touchant à sa tuque ? demanda Denis, stupéfait. C'est incroyable ! Tu vas sûrement découvrir des tonnes de renseignements sur l'assassin de Marcel Bleau avec ton don.
Lina fit la grimace.
― Pas nécessairement. Cette tuque a été perdue il y a près d'une heure. Les traces sont encore fraiches, si tu me passes l'expression. C'était donc facile. Dans le cas des objets touchés par Larouche, c'était il y a déjà deux mois. J'aurai du mal à trouver des traces résiduelles. En revanche, les objets ont été isolés dans des sacs de plastique pour l'enquête et manipulés à l'aide de gants. Ça peut réduire les interférences.
Denis sourit. Quel pouvoir extraordinaire elle avait ! Qu'avait-elle découvert sur lui lorsqu'elle et Régine avaient réussi à le retracer ? Il n'osa pas poser la question, de peur qu'elle lui dévoile des choses gênantes. Il en profita pour changer de sujet.
― He bien, si tu veux bien me suivre, je te conduis au poste.
― Allons-y.
Denis entra avec Lina dans le poste, et se rendit, encore une fois, dans le bureau du lieutenant Serge Cournoyer. Décidément, il commençait à être un habitué de la place. Denis se demanda si les autres employés du poste se posaient des questions, soupçonnaient des choses anormales en voyant quelqu'un comme lui rencontrer régulièrement le lieutenant. Il haussa les épaules. Ce n'était pas vraiment son problème, après tout et Cournoyer devait sûrement avoir de bonnes excuses à inventer.
― Bonjour, madame Ménard, dit le policier en l'accueillant. Bonjour Denis.
― Comme on se retrouve, répondit-il. Je vais bientôt être un abonné des lieux.
― En effet, rigola Cournoyer en se versant un thé. Alors, assoyez-vous, je vais vous sortir les pièces à conviction que j'ai pu avoir. Quelque chose à boire ?
Denis et Lina refusèrent. Cournoyer quitta son bureau et revint quelques instants plus tard, un sac de plastique entre les mains. À l'intérieur se trouvait la tablette de papier sur laquelle Bleau avait fait ses inscriptions étranges. La fameuse tablette que Larouche avait aussi caressée presque avec dévotion, quelques instants avant d'assassiner Bleau. Cournoyer enfila une paire de gants, sortit délicatement la tablette du sac et la tendit à Lina.
Lina prit la tablette et ferma les yeux. Elle la tint d'abord fermement devant elle, le front plissé, le visage crispé, fortement concentrée. Sa respiration ralentit. Après un moment, elle rapprocha l'objet de son visage, comme si elle désirait le sentir. Finalement, elle passa doucement sa main droite sur la surface du papier en faisant des cercles, un peu comme l'avait fait Larouche avant elle.
Denis l'observait, fasciné. Il regardait Cournoyer du coin de l'œil, qui examinait Lina attentivement, mais sans trahir la moindre émotion. Enfin, Lina ouvrit les yeux et redonna la tablette à Cournoyer, une expression soucieuse et perplexe sur le visage.
― Alors ? demanda Cournoyer.
Lina secoua la tête, toujours sceptique.
― Pas grand-chose, mais quand même... tout ce que je sais, c'est que cette consultation, c'était un test.
― Un test ? De quel genre ?
― Je ne suis pas sûre. J'ai juste vu que Larouche devait tester Bleau, qu'il attendait quelque chose de vraiment précis de sa part. Il y pensait vraiment très fort et c'était primordial, alors, ça s'est bien imprégné dans la tablette quand il y a touché. Si Bleau échouait le test, Larouche devait juste le payer et partir. Mais si Bleau réussissait le test, Larouche devait le tuer et s'emparer de sa tête.
Prendre sa tête ? Mais quel intérêt pouvait-on avoir pour une tête ?
― Mais c'était quoi, le test ? insista Denis. Et pourquoi le fait de le réussir rendait sa tête si importante ?
― Je ne sais pas. Mais visiblement, ce que Bleau a écrit dans sa transe démontre qu'il l'a réussi. Malheureusement pour lui.
Denis réfléchit. Un test... Il se rappelait à quel point Larouche avait eu l'air captivé par les symboles que Bleau avait réussi à soutirer à l'entité mystérieuse. Comme s'il avait eu une illumination, voire le Saint-Graal devant lui. Donc, Larouche était là pour voir si Marcel Bleau possédait bel et bien le pouvoir de contacter les esprits et c'était capital pour lui... mais en quoi la tête d'un médium mort pouvait-elle être utile?
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La Société des voyants, Tome 1: L'odeur de la nuit
ParanormalDenis Bergevin a toujours été différent des autres et il le sait. Caché au plus profond de son être, il conserve un secret qu'il n'a jamais révélé à personne : depuis sa plus tendre enfance, Denis a des visions. Et pas n'importe lesquelles, car ses...