Pascal se leva et céda sa place à Denis pour aller chercher le fauteuil qu'il amena plus près pour s'y installer avec Régine alors que Lina s'assoyait à côtés de Michaël.
― Et... est-ce qu'elle va bien? demanda Denis, sans cesser de fixer Anaïs, qui se trouvait maintenant juste à sa gauche. Elle a l'air vraiment fatiguée. Vous croyez qu'elle assistera à notre meeting?
― Anaïs n'est pas fatiguée, répondit Jean-Marc en souriant. Elle souffre de narcolepsie.
― De narco-quoi?
― De narcolepsie. C'est une affection neurologique rare qui est caractérisée, entre autres, par un désordre du sommeil en général et des épisodes de sommeil incontrôlables. C'est une forme de dyssomnies ou de troubles du sommeil, si tu veux.
― Et... qu'est-ce que ça fait, exactement ?
― Eh bien, cela fait en sorte qu'Anaïs peut s'endormir plusieurs fois par jour, n'importe où, n'importe quand, sans pouvoir se contrôler. Comme il y a quelques instants où elle s'est endormie dans le fauteuil.
Denis était stupéfait. Il n'avait jamais entendu d'un tel désordre. Il observa Anaïs de près. Peut-être était-cela qu'il avait senti chez elle ? Cette anormalité dans son sommeil ? Pourtant, elle semblait très sereine en ce moment.
― Et le caniche ? Est-ce le sien ?
― Oui. Il lui a été donné par un organisme de bienfaisance dans le genre de Mira, en collaboration avec la Société dont nous faisons partie. Pour sa sécurité, car on ne sait jamais ce qui peut arriver.
Denis essaya d'imaginer la vie de cette femme, ponctuée sans arrêt de « siestes » impromptues et incontrôlables. La plus simple tache ou activité devait être dangereuse. Conduire était hors de question, même cuisiner devait être une entreprise presque périlleuse. Si elle s'endormait pendant qu'elle mettait quelque chose au four ? Comment faire son épicerie ou même prendre son bain sans risquer de se blesser ou de se noyer ? Quel enfer cela devait être !
Denis tenta de se représenter son existence s'il avait cette maladie. Comment parviendrait-il à étudier ou à travailler? Impossible d'avoir une existence normale avec une telle affliction. Et dire qu'il trouvait ses cauchemars difficiles à vivre ! Il se demanda si ce mal était lié à un pouvoir quelconque et de quelle façon.
Denis commença à comprendre pourquoi Régine disait que ces personnes étaient spéciales. Il ignorait encore quels talents particuliers les autres avaient, mais il était certain que leur vie ne ressemblait en rien à celle des autres. Il se sentit tout à coup en confiance. Il pouvait certainement parler avec eux de ses problèmes, de ses visions, sans passer pour un fou. Il ressentit alors un réel soulagement d'être là.
― Alors, Denis ? dit Jean-Marc. Veux-tu nous parler de toi ? Si tu le veux bien, après nous ferons un tour de table et pourrons tous se présenter plus en détails. Mais nous aimerions bien en savoir un peu plus à ton propos.
Denis regarda les membres du groupe, un à un. Ils l'observaient tous avec un brin de curiosité, mais surtout de la gentillesse de leur part. Il sut alors que personne ne le jugerait ou le critiquerait, qu'il était en sécurité parmi eux et qu'il pouvait tout dire sans rien caché.
― Par où commencer ? balbutia-t-il. J'ai l'impression qu'il y a tant de choses à dire...
― Commence par nous parler de l'endroit où tu es né, dit Aurélie, les yeux brillants. Parle-nous de ta naissance. Comment es-tu venu au monde ? Moi, je trouve ces histoires-là toujours intéressantes.
Denis sourit et retint un soupir. Contrairement à sa mère qui éprouvait une grande fierté à donner tous les détails entourant son arrivée au monde, il n'en avait pratiquement jamais parlé à personne, car il trouvait cela trop absurde. Après tout que Lise et ses folles d'amies Florrie et Miyako lui avaient raconté, saupoudrant le tout de théories mystico-spirituelles nouvel âge, il en connaissait les moindres parties. Mais pour une fois, ça ne le gênait pas de tout dire. Il se lança.
― Bien, je suis né le 8 décembre 1984, par un soir de pleine lune, commença-t-il. Un peu comme les loups-garous qui se réveillent quand l'astre est plein. Autrefois, les Amérindiens appelaient la pleine lune du mois de décembre la Lune Froide. D'autres l'appelaient la Lune du Chêne ou bien la Lune des Longues Nuits. On dit qu'elle aiderait à promouvoir l'espoir et la guérison. Risible, si vous voulez mon avis.
Denis s'arrêta. Il ne savait pas pourquoi il venait d'énoncer tout cela. Mais il se dit qu'il était trop tard pour reculer de toute manière. Sa mère et ses copines s'entêtaient, depuis des années, à entourer sa naissance de spiritualité bon marché qui le faisait bien rigoler, mais qui avait imprégné son enfance. Il se dit qu'il n'avait rien à perdre à répéter ce qu'on lui avait dit pendant des années. Il poursuivit.
― Le soir de ma naissance, sur le chemin de l'hôpital, ma mère a juré avoir aperçu dans la neige une jeune femme vêtue de blanc tenant un enfant dans ses bras. C'était sur la route 167, tout près du Lac Gilman. Mais personne n'a jamais pu le confirmer. Une amie un peu fêlée lui a affirmé qu'il s'agissait d'une Yuki-onna, ou une femme des neiges. Une figure mythique japonaise. On dit de celle-ci qu'elle est un être surnaturel et qu'elle tue parfois ceux qui se trouvent coincés dans des tempêtes. Mais pour une raison mystérieuse, si vraiment les Yuki-onnas existent, celle que ma mère aurait vue ce soir-là aurait choisi de nous épargner.
Denis prit une pause et eu un petit rire, en baissant la tête. Il avait toujours trouvé cette anecdote insensée. Il releva la tête.
― Si j'étais superstitieux, je me considérerais sans doute très chanceux, un peu comme si j'avais été choisi et protégé par des esprits depuis ma naissance. Imaginez, être né un soir de pleine lune où un fantôme des neiges apparaît sur votre route, comme pour vous escorter jusqu'à votre destin qui sera sûrement formidable. Un peu comme la bonne fée marraine de la Belle au bois dormant. Mais contrairement aux princesses des contes de fées, je ne me considère pas comme étant béni, ni privilégié. Je me considère plutôt comme étant maudit.
Denis prit une nouvelle pause. Personne ne disait mot et tous le regardait, captivé, avec un mélange de curiosité et d'empathie dans les yeux. Pas de sourire moqueur ou de sourcils relevés. Le silence planait sur le groupe, suspendu à ses lèvres. C'est alors que Denis s'aperçut que quelque chose avait changé dans la pièce. Il tourna légèrement la tête.
Anaïs était réveillée et le fixait du regard.
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La Société des voyants, Tome 1: L'odeur de la nuit
ParanormalDenis Bergevin a toujours été différent des autres et il le sait. Caché au plus profond de son être, il conserve un secret qu'il n'a jamais révélé à personne : depuis sa plus tendre enfance, Denis a des visions. Et pas n'importe lesquelles, car ses...