Chapitre 22 : Cameron

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J'étais garé devant chez elle depuis une demi-heure. J'étais en avance. Je scrutais depuis autant de temps la petite fenêtre de son appartement. Le quartier avait l'air tranquille. Je ne comprenais pas pourquoi elle ne vivait pas chez monsieur Parker, cependant. Il ne vivait pas bien loin pourtant. Une question de plus à lui poser.

Je me décidais à descendre de voiture et l'appeler de mon téléphone portable. Je n'avais pas envie qu'elle pense que j'envahissais sa vie. J'avais une stratégie bien pensée à mettre en action. Il ne fallait surtout pas la braquer où s'en était fini de notre belle complicité. Je l'avais déjà bien terni en choisissant de lui faire mes adieux au diner. Je ne me permettrais plus d'erreur. J'avais estimé le temps qui lui restait. J'avais trois semaines pour la ramener sur un chemin plus lumineux. Cela n'allait pas être facile. Mes nerfs se jouaient déjà de moi mais il n'était pas question de moi mais d'elle. Je ne la perdrais pas. J'allais lui montrer ce que la vie, à mes côtés, avait de bon.

Je portais le téléphone à mon oreille après avoir appuyé sur son numéro et attendis d'entendre sa voix légèrement voilé.

- Cam, dit-elle vaguement amusée.

- Tu es prête ?

- Depuis un moment mais j'attendais de voir combien de temps tu allais rester dans ta voiture, ricana-t-elle.

Merde ! Elle m'avait repéré.

- Je ne voulais pas te presser.

- Tu te fais trop de souci pour pas grand-chose. J'arrive.

Elle raccrocha et je remontais en voiture en me maudissant. Elle allait penser que j'étais un stalker maintenant. Super !

Elle apparut derrière la porte vitrée de l'entrée à son immeuble en sautillant. Sa queue-de-cheval bougeait dans tous les sens alors qu'elle descendait le perron pour venir à ma rencontre. Elle se posta devant moi, les mains sur les hanches, le regard sérieux.

- Ce n'est qu'un job, Cam. Détends-toi.

- Je sais.

- Allons-y. Nous allons être en retard et ces animaux, on besoin d'un peu de douceur et de tendresse.

Elle détalla côté passager et s'installa alors que je mettais le contact pour dix minutes de trajet, direction le refuge, à la sortie de la ville. Alors que je roulais à travers la ville, je l'observais à la dérobée et ne pouvais m'empêcher de l'imaginer immobile, froide et bleue. Impossible de faire abstraction de ses idées. L'image que cela me renvoyait était atroce, à m'en donné des crampes à l'estomac. Je remarquais ses petites mains se tortiller l'une contre l'autre. Malgré ses sourires, elle était, elle aussi, nerveuse. Je reportais mon regard sur la route. Je ne savais pas si c'était le bon moment pour aborder le sujet et cela m'angoissait horriblement. Je ne savais pas quoi faire pour lui faire ouvrir les yeux. J'aurais, peut-être, dû demander conseille à Mandy, une étudiante en psychologie. Elle aurait sûrement su me diriger. Il s'agissait de toucher l'en-but en une fois, sans erreur car là, c'était la vie d'une personne qui comptait pour moi qui étais en jeu. Je ne pouvais pas me louper. Nicah poussa, soudainement, un long soupir.

- Tu te tortures tant le cerveau, Cam, que j'entends qu'il est en surcharge d'ici. Je sais ce qui te hante alors vas-y. Pose-moi toutes les questions qui te traversent l'esprit, comme ça, on pourra travailler en paix, toi et moi, cette après-midi.

J'hésitais. En discuter avec monsieur Parker était une chose mais en parler avec elle... entendre ses réponses concrètes, de sa bouche, allait rendre la situation bien plus réel. Cependant, je ne pouvais me cacher derrière une réalité obsolète alors que le temps nous manquait.

- Cette chanson était pour ton père ?

Elle poussa un ricanement amère.

- Je savais qu'Henry n'avait pas su tenir sa langue, encore une fois.

- Ne lui en veux pas. Il t'aime et s'inquiète pour toi.

- Oui.

- Oui, tu comprends ou oui, c'était pour ton père ?

- Oui, c'était pour mon père.

Ses yeux s'illuminaient si puissamment quand elle parlait de lui que j'avais des doutes de pouvoir la ramener à la réalité, aujourd'hui. Elle avait l'air de l'aimer si fort qu'elle en était aveuglée. L'angoisse me fit serrer les mains autour du volant. Mon cœur battait à tout rompre. J'avais tellement peur de faire une erreur qui la braquerait contre moi que je pesais mes mots avant qu'ils ne franchissent mes lèvres.

- Tu peux me parler de lui ? Comment était-il ?

Son sourire crispé devint sincère en une seconde. Les yeux dans le vague, elle semblait se perdre dans ses souvenirs.

- Il était fantastique. Drôle, aimant, doux, joyeux, protecteur, ouvert... Il était toute ma vie. Je ne lui cachais jamais rien. Il était mon meilleur ami. Il était propriétaire d'un garage automobile et il m'a tout appris. Il ne me laissait jamais de côté. Il m'incluait dans toutes ses activités. Il avait énormément de projets pour nous...

- Il semblait être un père incroyable, dis-je prudemment.

Elle tourna la tête vers moi, les yeux brillants de larmes et un énorme sourire aux lèvres.

- Oui, c'était le meilleur. C'est lui qui m'a forgé. Il disait toujours « n'est jamais peur de te battre pour ce que tu crois, ma fille. Tu es incroyable et puissante. Si les gens ne le voient pas, tant pis pour eux.» J'ai toujours suivi ses recommandations à la lettre. Je me bats pour ce que je crois.

Je décidais que là était la perche que je cherchais depuis le début de la conversation, aussi je la pris, non sans trembler.

- Comme mettre fin à tes jours ?

Elle écarquilla les yeux puis baissa la tête.

- Je suis désolée si ça t'affecte, Cam, je t'assure. Je n'avais pas prévu de laisser des gens s'attacher à moi. Je ne voulais entraîner personne là-dedans... mais oui, et je ne laisserais personne se mettre en travers de mon chemin. Je ne peux pas. J'ai fait une promesse à mon père le jour de son enterrement et je compte bien m'exécuter.

- C'est vraiment ce que tu veux ? Toi ? sans parler de ton père.

- Oui. Je ne veux pas vivre dans un monde où mon père ne vit plus.

- Tu le fais depuis trois ans pourtant.

- Parce que je n'avais pas le choix et je devais faire les choses comme il se devait. Je devais du temps à ma mère. Je devais être majeure pour ne pas avoir les flics au cul. Je devais avoir le temps nécessaire pour accomplir ma liste.

- Est-ce que tu as pensé à ta mère, à monsieur Parker... à moi, dans cette histoire ?

- Que depuis récemment, oui. Tu m'as fait ouvrir les yeux sur la peine que cela allait vous causer.

- Et ?

- Ça me fait de la peine de vous en faire mais cela ne change rien. Mon père est ma priorité.

- Je pense plutôt que c'est ta peine qui est prioritaire parce que, aucun père, et à la façon dont tu me la décris, encore moins lui, ne voudrait que sa fille mette fin à ses jours pour le rejoindre.

Sa bouche se pinça, ses sourcils se froncèrent. Elle demeura silencieuse jusqu'à ce que je me gare devant le refuge.

- Je sais tout ça, Cam. Je suis égoïste. Je ne peux juste plus supporter ce gouffre dans ma poitrine, d'accord ? C'est trop douloureux, insupportable. J'ai mal depuis trois ans et je ne veux pas continuer à le ressentir. Si je suis encore là, à te parler, c'est parce que je peux au moins me racheter auprès de lui pour ce que je m'apprête à faire, déclara-t-elle la voix tremblotante.

Sur ces paroles lourdes de sens, elle ouvrit la portière et sortit du véhicule sans m'attendre dans des gestes trahissant son état émotionnelle. Prêt à la suivre où elle irait, je me demandais si, après ça, je parviendrais à l'ouvrir à d'autres options, plus rationnelle que la mort... 

Joy in the darkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant