Blue as the Sky

Chapitre 27 • Puzzle icomplet

Le trajet retour est aussi tintamarresque qu'un bassin de carpes. Malgré le calme assourdissant, j'ai l'esprit en ébullition rien que de me rejouer les faits précédents, et pour cause ; mon visage est si chaud qu'on pourrait y cuire un œuf. Même Hadès a de quoi se faire du souci pour sa carrière.

À notre arrivée sur la rive opposée, Kat nous lorgne du regard par-dessus ses verres teintés, elle se balance paisiblement dans le hamac en toile, planté entre les naupaka adjacents à la tiny house. À l'instant ou je croise son air inquisiteur, mes joues s'empourprent de plus belle. Je détourne le regard, puis fais volte-face vers Merlin, lui tendant la main en guise d'au revoir. Le voilà qui se penche au même moment, dans un mélange de gloussements effarés, on inverse les rôles, je me retrouve à m'avancer à mon tour, tandis qu'il me présente sa paume.

Ce serait drôle si ce n'était pas affreusement pas drôle.

J'émets un rire maladroit, bien décidée à clôturer au plus vite cette mascarade par un simple signe de tête, mais le blond semble vouloir conclure autrement ; il s'élance d'un pas mi-hardi, mi-engoncé jusqu'à ce que ses lèvres corail atterrissent sur ma joue cramoisie sous le regard ahuri du trio.

— Salvoir ! Aurelut ! Sa-lut ! je me rectifie, alors qu'il s'éloigne à travers l'allée caillouteuse pour rejoindre Rudy.

— Tu as des explications à faire, murmure Kat depuis sa position.

Tel un essuie-glace dysfonctionnel, je feins l'ignorance en balayant l'air ambiant de mon avant-bras, jusqu'à ce que la Citroën Méhari disparaisse derrière les branches.

Un toussotement me parvient de l'arrière, je me retourne. Les trois paires d'yeux qui s'offrent à moi, m'implorent d'en savoir plus.

Je me racle la gorge :

— Je l'ai fait.

À travers l'accalmie environnante, le froissement d'un billet de 20$ voyageant des doigts frêles de Kheo à la paume dorée de la blonde, ne passe pas inaperçu.

J'hallucine.

— Je le savais ! s'exclame-t-elle, avant que je n'aie le temps de formuler une remarque. Comme quoi, parfois on a juste besoin de se sentir menacé pour avancer, déclare-elle en haussant les épaules, comme si elle venait de trouver un remède miracle aux obstacles de la vie.

Je doute de la bonté de cette morale, mais passons.

— Et alors, qu'est-ce qu'il s'est passé ? intervient Maoni tout aussi stupéfaite de mon élan de courage.

Un frisson me parcourt l'échine à la flopée de souvenirs qui émerge à nouveau.

— J'ai bégayé...

— Rien de nouveau sous le soleil, marmonne le bouclé.

— Mais encore..? ajoute Kat.

— Et puis, il m'a un peu embrassé...

— OH MON DIEU, JE SUIS TELLEMENT FIÈRE DE TOI !

Elle se jette si vite du hamac que j'ai cru qu'elle allait être emportée par le mouvement et tournoyer sur elle-même avant de se faire engloutir par la toile resserrée.

— C'était comment ?!

Salé est le seul mot qui me vient à l'esprit pour décrire cette sensation.

Surprenant est celui que je me vois employer.

À peine la dernière syllabe sortie de ma bouche, la blonde se précipite pour me prendre dans ses bras, et voilà qu'on se met à sautiller sur place. Vue de l'extérieur, je dois ressembler à un doudou dans un tambour de machine à laver. Par la force du vent, les branches se mettent elles aussi à danser autour de nous, comme si elles prenaient part à cet instant de folie. Kheo et Moani se mêlent à notre alacrité.