Chapitre 19 • À la Dérive

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Le lendemain matin, terme plutôt inadéquat dans la mesure où l'aube ne pointe pas encore, j'empreinte le chemin jusqu'à Lake Field Beach. Le soleil se lève sur l'île, lentement, mais sûrement. Il illumine petit à petit le ciel brumeux ainsi que les nuages alentour, chatouillant par-ci, par-là les feuilles des palmiers qui bordent la route.

Je hais les matins.

Tous sans exception, et celui-ci plus encore.

Bien que je n'aie pas réussi à fermer l'oeil de la nuit, le moelleux de mon oreiller et la douceur de mes draps en coton renforce mon envie de passer chaque début de matinée en leur compagnie. Et non pas celle du vent abrupt qui prend un malin plaisir à me fouetter le visage et emmêler mes cheveux. Mais le confort n'est pas la seule raison qui me pousse à rester au lit ; ce rendez-vous soudain avec Merlin, est on ne peut plus douteux.

Et s'il comptait me noyer, jusqu'à ce que mort s'en suive ?

Ou alors m'exploser la cervelle contre un rocher, histoire de me remettre les idées en place ?

Je ne suis peut-être pas au courant, mais voilà que je viens de signer mon arrêt de mort.

Heureusement, j'ai eu la décence d'enfiler un maillot de bain avant de partir, je ne peux tout de même pas mourir en sous-vêtements. Hors de question de perpétuer ma honte et ça, même lorsque je serais enterrée six pieds sous terre. Et oui, je n'ai pas non plus perdu toute ma tête, bien que ma part de dignité se soit, quant à elle, déjà envolée. Le seul inconvénient, dans cette histoire, c'est qu'à défaut d'avoir fait preuve d'un peu de bon sens, je n'ai pas pris le temps de sélectionner la couleur de bikini qui ira le mieux avec celle de mon cercueil. Et bien que le contraire me verrait ravie, je doute que le rose fluo figure sur la liste des possibilités.

Tant pis, on fera avec.

La silhouette de Merlin se détache de la falaise en arrière-plan au fur et à mesure que j'approche du rivage. Je traîne des pieds, soulevant sur mon passage des monticules de poussière dorée. De son point de vue, je dois plutôt avoir l'air de faire du ski de fond qu'autre chose ; mes tongs sont fin prêtes pour le championnat de développer-coucher avec les kilos de sables que je catapulte vers l'arrière. Moulé dans sa combinaison en néoprène, une planche de surf à la main, il me salue de son bras libre.

J'ai une envie soudaine de rebrousser chemin.

Je ne sais pas ce qui m'a pris de venir ici, à une heure aussi matinale qui plus est. Bon, OK, il se peut que Kat m'ait pointé un couteau sous la gorge pour que j'assiste à ce rendez-vous.

Mais depuis quand est-ce que je me laisse embobiner par ses menaces ?

L'heure est vraiment au désespoir.

Au gré de mon avancée, je songe autant de fois à prendre mes jambes à mon cou, que le nombre de grains de sable présents sur cette plage. À vrai dire, la seule pensée qui me retient n'est autre que la peur de rester figée par un surplace clownesque à la façon de Tom & Jerry. En effet, cela suffit à me faire avorter cette idée.

La dernière chose dont j'ai besoin, c'est de me ridiculiser une fois de plus.

L'odeur de marée est bien plus proéminente à cette heure-ci, qu'à la pause déjeuner. Je rapporte mon attention sur la querelle entre deux bouts d'algues, en bord de l'eau. Lesquels se disputent la prochaine place emportée par l'écume.

Lorsque j'atteins son niveau, je réponds au geste de Merlin par un "salut" des plus bancals, détail auquel il semble faire abstraction puisqu'un sourire d'ours en peluche étire les tissus de son épiderme.

J'ai déjà vu ça dans un film, ça commence par un sourire et puis ça vous plante un couteau en pleine cage thoracique. Il en faut plus pour m'avoir. Bien que ses yeux océan m'invitent à plonger dedans et profiter de l'eau, je prends mes distances.

Blue as the SkyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant