— C'est pas le chemin de la tente ça, nota Luce au bout d'une bonne minute de marche.
Surpris, Ange fronça les sourcils.
— Comment est-ce que...
— Cinquante-deux pas nous séparent des sanitaires au petit rond point, commença la jeune femme en affichant un air soudainement plus que fier. Ensuite, il faut prendre à droite, marcher durant vingt-six pas. Puis on tourne sur la gauche. Sept pas et on passe devant ta tente. La mienne se trouve à cinq de plus. Sinon, on peut prendre l'autre chemin. Il est plus long, mais plus stable. Mais on vient de le passer, il y a maintenant treize pas. Donc j'en conclus que tu m'amènes vers le restaurant du camping ou au moins sa sortie.
Admiratif, le jeune homme ne sut quoi dire.
— Je te l'accorde, c'est très chiant de devoir tout le temps compter. Tu m'excuseras donc de ne pas être en mesure de parler pendant que je marche.
Désormais, Ange réalisait à quel point cela devait être lourd. Luce ne pouvait probablement pas s'aventurer sur un chemin inconnu. Il fallait tout le temps qu'elle calcule le nombre de pas à faire. Il fallait qu'elle trouve des repères. Ou bien qu'elle s'accroche à quelqu'un.
La veille, quand elle lui avait demandé de fermer les yeux et de se laisser guider par ses autres sens, il avait trouvé cet exercice intéressant. Mais il savait bien évidemment qu'à la moindre difficulté rencontrée, il avait la possibilité d'ouvrir les yeux et d'allumer la lampe pour se repérer. Et sans le dire à Luce, c'était ce qu'il avait fait.
A ce moment-là, il n'y avait pas eu de raison d'avoir peur. Il avait simplement voulu pouvoir observer le visage de la jeune femme. Et cette capacité qu'il avait autrefois jugée normale, il se rendait compte qu'il s'agissait finalement d'une chance. Une chance que Luce n'avait plus.
Est-ce que tout cela voulait dire qu'il n'était pas capable de « jouer le jeu » à fond, si encore on pouvait appeler cela un jeu, ou bien est-ce que cela voulait dire qu'il était trop égoïste pour essayer de vivre comme un malvoyant ?
A force de réfléchir, Ange avait mal au crâne. Décidément, même sans parler, Luce arrivait à lui faire tourner la tête. Certes, pas de la façon qu'il aurait pensé, mais le fait était là.
— On peut s'asseoir maintenant.
— Oh, donc tu préfères le mur de l'entrée du parking pour me parler plutôt que le restaurant. Dois-je en conclure que ce que tu comptes me confier ne doit pas être entendu des autres ?
Pourquoi fallait-il toujours qu'elle l'agace ? Depuis leur première rencontre, c'était ainsi. La beauté de Luce était renversante, mais son caractère de chien... Eh bien c'était là le problème, il le haïssait autant qu'il l'aimait. Car derrière ses réflexions qui jouaient avec ses nerfs, il y avait une sorte d'excitation qui naissait. Elle le poussait à bout et plus elle était détestable avec lui, plus il se sentait s'accrocher à elle.
Était-ce malsain ? Sans aucun doute.
Est-ce qu'il fallait que cela cesse ? Il avait envie de dire que non, car c'était bien trop puissant et que cela ne faisait qu'augmenter son désir de l'avoir.
Pourtant, s'il l'avait faite venir ici, c'était parce qu'après leur conversation courte de la veille, il avait eu confirmation que Luce était une femme compliquée. Trop compliquée pour lui. Une femme qui méritait d'être heureuse mais ne le serait certainement pas avant d'avoir réussi à s'aimer elle-même. Et justement, il ne savait pas combien de temps cela lui prendrait et le temps, si ce n'était pas ce qui lui manquait d'habitude, durant ces vacances, c'était différent.
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Baisers salés (Terminée)
RomanceÀ vingt-sept ans, sans attache particulière, loquace déconneur et bien souvent immature, Ange cache un secret qu'il aimerait oublier à tout jamais. Un secret qui l'a amené à changer du tout au plus, en prenant le risque de se perdre lui-même. Depuis...