13. En garde

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"Sous l'averse


Il a la goutte au nez


L'épouvantail.
"

(Haïku) 
Kobayashi Issa

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C'était bel et bien la porte du dortoir qu'il avait tirée, mais elle ne donnait sur rien. Seulement un mur aux planches ébènes, dont l'espace entre elles et l'huis n'était pas assez important pour le qualifier de placard à balai. Son cerveau refusait de comprendre.

Le dortoir avait disparu. Ce n'était pas possible. L'heure tournait. Il n'allait jamais arriver à temps. Il envisagea de s'y rendre dans son uniforme, mais se présenter en retard et dans la mauvaise tenue ne ferait qu'aggraver son cas, quel que soit l'école ou le pays.

Il courut actionner les autres portes. La petite salle d'entrainement était bien là, vide, et la seconde sortie donnait sur un étroit couloir. La poignée du dortoir des filles tenta de lui mordre les doigts, ce qui acheva de le faire paniquer. Il commença à faire les cent pas, à demi penché pour tripoter son genou droit.

Quelques secondes, ou plutôt quelques heures plus tard de son point de vue, le bruit de coulisse que faisait l'entrée de la salle commune résonna dans son dos. Il fit volte-face et découvrit le visage d'Hotaru, l'autre délégué, qui semblait surpris de le découvrir là.

« Callag... Hugo, tu ne devais pas être avec sensei Abe ? »

Une bouffée de stress compressa encore plus Hugo, qui mit un peu de temps à trouver ses mots.

« Si... mais le dortoir... is gone ! What do I do, now ? »

Le japonais lui échappait, et seules des phrases simples et directes en anglais envahissaient son esprit. Il grimaça en sentant monter des larmes. Il fit un geste désespéré en direction de la porte incriminée. Hotaru parut comprendre et s'en approcha. Il passa sa tête dans l'ouverture et fronça du nez.

« Ça tombe mal...

— J'en peux plus de ce château, moi ! s'exclama-t-il en se laissant tomber dans un fauteuil. Des escaliers par ci, des couloirs de toutes les tailles, des galeries extérieures, tout qui se ressemble... Même pas de statues pour se repérer ! Et cette idée de cacher l'entrée de la salle commune, hein ? Même sans chercher à faire des détours, je me perds ! J'arrive enfin à la trouver seul rapidement et je... je... »

Ne tenant plus en place, il se leva à nouveau.

« Je vais aller expliquer la situation au prof. »

Se rappelant soudain qu'il était venu avec une note ensorcelée par Mina, il la chercha du regard. Elle s'amusait à se cacher entre les plantes.

« Hugo... attends, le dortoir fait ça parfois. Il part faire un tour, il se réduit, il s'agrandit... les cloisons sont amovibles un peu partout, donc beaucoup de pièces n'en font qu'à leur tête. Le dortoir part faire une... promenade de temps en temps, on va dire. Quand il pense qu'on est tous en cours. »

Il tenta de lui sourire d'un air rassurant.

« Et il n'y a pas moyen... je ne sais pas, de le rappeler, ou de trouver un autre accès ?

— Non, mais il ne part jamais bien longtemps, il suffit d'attendre un peu... »

Il ferma la porte. Suivant du regard l'avion de papier, il ajouta :

« Je vais aller prévenir sensei Abe. Quand tu auras tes affaires, rejoins-le. »

Hugo se contenta de hocher la tête. Il ne voyait pas comment il allait réussir à se concentrer sur une nouvelle discipline après ça, mais il le faudrait. Hotaru le laissa à nouveau seul. Il s'assit contre le chambranle de la porte pour l'entrouvrir régulièrement. Après cinq regards en l'espace de vingt secondes, il se força à respirer plus calmement, comme grand-mère Iwa le lui avait appris. Son rythme cardiaque se calma légèrement. Se rendant compte que ses épaules étaient si crispées qu'elles semblaient vouloir atteindre ses oreilles, il les relâcha et fit le vide dans son esprit.

Le Sourire du Corbeau (Mahoutokoro, tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant