30. Crépuscule

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"Glaçant mon ventre

les rames frappent la vague

nuit de larmes "

Haïku, Bashô

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Définition yagura : tour érigée pour un festival O-bon, autour duquel on danse et où sont accrochées des guirlandes

Vu que ça fait très longtemps que je n'ai pas posté, mini récap du dernier chapitre en commentaires pour ceux que ça intéresse

(16 août 2007, province de Tochigi, Japon)

Le crépuscule avait été superbe. Un flamboiement de couleurs avait déchiré le ciel et donné aux arbres alentour l'impression de brûler, armée immobile incapable de lutter contre la marche de la nuit. Les nuages avaient sonné la reddition en premier, pâlissant du rouge à l'orange, puis du orange au gris ; avant d'être avalés par le noir. Des langues de feu avaient encore lutté un moment dans l'entre-deux entre la terre et les nuées, tandis que la lumière s'intensifiait entre les branches et les troncs, marée aux nuances chaudes qui noyait le monde.
Puis, comme on souffle une bougie, la lumière avait disparu.
Un bleu indigo, piqueté de rares étoiles pareilles à l'écume sur la crête des vagues, avait recouvert la forêt. Plus moyen de distinguer arbres et branches, maisons et reliefs ; plus aucun rempart ne séparait Hugo de l'obscurité, désormais. La fenêtre, qui découpait un rectangle jaune sur le sol à l'extérieur, s'étirait jusqu'à effleurer le cercle de protection qui entourait le jardin, mais mourait trop tôt pour le franchir, étouffé par la noirceur qui s'étendait au-delà, insondable.

« Fou en F8. », souffla Mina.

Ils n'osaient pas parler trop fort.

« Échec. » , ajouta-t-elle pour la forme.

Hugo ordonna à sa tour de s'interposer entre la pièce et son roi, puis Mina dut défendre son cavalier, que le déplacement avait mis en danger.
« Ça fait dix minutes qu'on joue à se poursuivre sur le plateau, on déclare match nul ?
— C'est peut-être mieux, oui. Il n'y a plus de pions à transformer en dame, de toute façon. Donc à moins que l'un de nous face une erreur, on va se poursuivre à l'infini. " acquiesça-t-il. "Rompez, camarades ! » s'amusa-t-il à dire, et les pièces restantes s'égayèrent sur le plateau pour rejoindre leurs consoeurs retranchées sur les côtés, mangées au fur et à mesure de la partie.

« C'est agréable d'avoir enfin un adversaire à sa taille.", fit Mina en étirant ses bras au-dessus de sa tête. « Edgar est trop facile à battre.

— Merci. Hélas, je n'ai pas encore percé les ficelles du jeu de go, puisque même lui arrive à me battre. »

Ils s'esclaffèrent, même si ça ressemblait plutôt à un rire nerveux.
« Ça viendra, t'inquiète. Ça fait que quelques mois que tu y joues, c'est qu'une question de temps avant que tu le dépasses. »

Le plafonnier et les deux lampes à poser qu'ils avaient ramenées éclairaient chaque recoin de la pièce. C'était presque trop lumineux, mais ça les rassurait. Ses parents avaient installé un futon pour Mina dans la pièce vide où Hugo faisait ses potions, ce qui n'était pas forcément le plus rassurant pour la jeune fille. Ils avaient tiré le matelas le plus loin possible du panneau qui sonnait creux, et s'étaient installés pour attendre la tombée de la nuit, sans dire un mot sur les fantômes.

Son amie se leva et se posta près de la fenêtre, les yeux perdus au-dehors. Hugo rangea le jeu d'échecs, puis s'approcha à quatre pattes d'un de ses chaudrons pour vérifier l'odeur et la texture de la potion qui reposait depuis deux jours. Le lendemain, il allait pouvoir ajouter les libellules séchées.

Le Sourire du Corbeau (Mahoutokoro, tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant