17. Aquarelles

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"Nos coeurs compressés

Se tournent vers les astres,

Commune douleur"

(Haiku, Renarde de Brume)

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(Rappel : Oban = équivalent de Auror)

Samedi 21 avril 2007, Ministère de la Magie, Japon

Il contourna le bureau et prit place à son tour.

« Vous étudiez à Mahoutokoro, c'est cela ? Cela fait peu de temps que j'ai repris cette affaire. »

Un parfum indéfinissable flottait dans la pièce, plongée dans un silence peu naturel. Aucun bruissement venant des pièces adjacentes, nul écho de conversations ou d'activités. Juste l'inspecteur qui l'observait depuis l'autre côté de la table, le menton posé sur son poing refermé. Une légère barbe, taillée avec soin, mangeait ses joues et le faisait paraître plus âgé. À dessein, sans doute. Elle s'efforça de ne pas ciller sous son regard scrutateur.

« C'est exact. »

Une insigne brillait sur le haut de chacune de ses manches, ainsi que sur le bandeau qui enserrait son front. Ses prunelles noisettes, sous la ligne concentrée de ses sourcils, lui rappelèrent l'expression déterminée qu'arborait souvent son frère. Emiko se demanda s'il cherchait à déceler des gouttes de sueur sur son front, ou le signe d'un malaise qui présagerait le mensonge. Enfin, il reporta son attention sur l'unique dossier qu'il avait conservé, dont il ne lui montra pas le contenu.

« Vous étiez donc à l'école en même temps que votre frère, Kurosawa Eisuke. Pourriez-vous me parler un peu de ses fréquentations ? »

Un classique, celle-ci. On la lui avait posée de nombreuses fois ; par des journalistes, Oban ou même ses propres parents.

« Il avait des amis, rencontrés à l'école ou grâce aux connaissances de mes parents. Rien de particulier, je peux vous citer des noms, mais ils sont sûrement déjà tous notés dans mes interrogatoires précédents. »

C'était vrai, elle n'avait rien à signaler concernant les amis d'Eisuke, qui évoluait facilement au milieu des gens sans trop s'attacher à personne, faisant de lui un fils modèle lors des réceptions et des dîners. Toutes ses connaissances s'étaient d'ailleurs empressées de nier toute amitié avec lui, après son arrestation. Plus que la reconnaissance de ses camarades, son frère avait toujours recherché celle des professeurs, allant même jusqu'à paraître un peu prétentieux dans son désir de leur montrer ses capacités.

Cela, cependant, avait fait tiquer le premier inspecteur à qui elle en avait parlé, si bien qu'elle se tut.

« Aviez-vous vu des indices, des signes avant-coureurs de son basculement ? Peut-être a-t-il toujours eu une certaine fascination pour la mort ou pour la magie noire ?

— Non, jamais. Il a toujours été... normal. »

Elle ne savait pas comment l'exprimer. Elle était tombée des nues, quand les Oban étaient venus l'arrêter. Quand elle avait vu la blancheur éclatante de son uniforme, mouton blanc parmi la masse noire du reste des gens — ceux présumés innocents. Lors du procès, où il avait paru assumer ses choix, sans culpabilité aucune, elle avait eu l'impression d'assister à l'audience d'un inconnu. Elle n'arrivait pas à associer l'image de son frère dans sa chambre, penché sur un devoir, et l'individu moqueur et insolent du procès.

C'était son frère qu'elle voulait protéger, mais l'inspecteur en face d'elle voulait qu'elle lui parle de l'accusé. Ce qui était impossible, puisqu'elle ne le connaissait pas. Elle sentit absurdement des larmes monter, et les refoula avec colère.

Le Sourire du Corbeau (Mahoutokoro, tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant