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"Les gouttes de pluie
Peignent des arabesques
Au creux du chemin"
Renarde de Brume
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(Avril, quelque part dans la province de Tochigi, Japon)
La journée était claire et ensoleillée, balayée par le vent qui chassait les nuages vers l'ouest, les poussant peut-être jusqu'à l'Irlande et ses paysages verdoyants. Le long de la route sinueuse qu'empruntait l'autobus au pays du soleil levant, les rizières en eau s'étalaient, miroir du ciel crépusculaire. Emily, le coude appuyé contre la vitre, appréciait un de ces rares moments de solitude, où aucun de ses camarades japonais ne venait s'asseoir à côté d'elle pour lui demander de faire une photo, ou pour aligner trois mots d'anglais sans queue ni tête. Paupières brûlantes de fatigue, le doux bercement du trajet la rendait somnolente. Ses mèches blondes lui tombèrent sur le visage alors qu'elle s'assoupissait. Elle se redressa en sursaut, puis les repoussa derrière son oreille. Tiens, cela lui rappelait ce qu'elle avait dit à Hugo dans sa première lettre : tout le monde lui demandait si c'était sa couleur naturelle, y compris les professeurs ! Apparemment, il était interdit de se teindre les cheveux au lycée... Quelle blague !
Elle desserra la cravate de son uniforme. Le bus était presque vide, désormais. On approchait de son village. Le virage qui offrait une vue panoramique sur la plaine en contrebas lui était désormais familier, et l'ombre de la forêt qui le suivait présageait la fin du voyage.
Dans un crissement de pneus, le véhicule s'arrêta devant l'épicerie à la devanture traditionnelle, coincée entre la pharmacie moderne et une maison en rénovation. L'épicier, assis devant sa vitrine pour profiter des rayons de soleil, salua Emily avec plus de déférence que les autres habitants. Depuis leur arrivée, il avait toujours été sympathique avec elle quand elle s'était rendue dans sa boutique, mais dans ce village, tout le monde connaissait tout le monde, et il fallait apprivoiser les nouveaux venus autant qu'ils devaient apprivoiser les anciens. Il allait falloir du temps pour réellement faire partie de la communauté et faire oublier son statut d'étrangère.
Elle remonta l'artère principale, puis tourna dans la seconde rue d'importance à Shinkyo. L'école primaire de son petit frère, toute en bois et avec une cour de terre parsemée d'une ou deux balançoires, des ronds pour les jeux de billes encore tracés dans le sable, faisait sonner la cloche de la fin des cours. La classe unique des maternelles s'échappa des portes les premiers, suivis de peu par les enfants plus âgés, qui finissaient de boucler leurs chaussures.
Une brise, qui commençait à perdre de son mordant, ébouriffait les cheveux des parents ou des nourrices venus chercher les écoliers. Les bambous derrière le bâtiment bruissaient comme pour saluer les petits et leur demander de revenir vite. Emily cueillit un pissenlit le long du muret qui ceignait la cour, d'un jaune vif et éclatant. Ses frères espéraient toujours que cette parenthèse de vie à Shinkyo, et plus globalement au Japon, lasserait vite leurs parents, ou tout du moins qu'ils changeraient d'avis et retourneraient au Royaume-Uni. Elle n'était pas vraiment d'accord. N'était-ce pas un peu réducteur de rester toute sa vie au même endroit, juste parce qu'on y était né ? Ne pouvait-on pas vagabonder, mener son baluchon auprès de plusieurs cultures, avant de s'établir là où l'on s'y sentait le mieux ?
En cette soirée d'été, elle se sentait bien dans ce village, dans ce pays. Tant qu'il y avait des gens à connaitre et à découvrir, des paysages à explorer et une culture à comprendre, Emily ne parvenait pas à se sentir comme une parfaite étrangère, au contraire de ce qu'elle avait parfois lu dans les yeux d'Hugo.
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Le Sourire du Corbeau (Mahoutokoro, tome 1)
FanficEmiko, descendante d'une longue lignée de sorciers nippons, voit son univers voler en éclats lorsque son frère est accusé d'avoir usé de magie noire, jetant le déshonneur sur toute sa famille. Dès lors, il lui incombe de redorer l'image des Kurosawa...