Chapitre 2/Traquée

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Dreams - Bastille ft Gabrielle Aplin : https://www.youtube.com/watch?v=nuxYbsnNhfM

A bout de souffle, nous nous engouffrions dans une étroite ruelle. La puanteur de celle-ci en dissuadai plus d'un. Ils ne nous chercheraient pas ici. Haletante, je tentais de me calmer. J'ai toujours eu une peur bleue des Traqueurs. Ils sont envoyés par les DDF afin d'effectuer des contrôles sur les habitants des îlots. Nos yeux, indicateurs de nos humeurs et émotions profondes, leur permettent de repérer des individus mals intentionnés. Une personne aux yeux noirs charbon serait directement emmenée au siège des DDF, considérée comme potentiellement dangereuse. Mes yeux ont mainte fois été teintés d'un marron tirant sur le noir, depuis mes 6 ans. Je me suis réveillée un jour d'un sommeil étrange, pesant, mes paupières semblaient aussi lourdes que du plomb et mes yeux me piquaient. Ils avaient changé de couleur. Ils n'étaient plus verts, comme les pommes du verger d'I-7. Non. Ils s'étaient ternis, d'une couleur kaki tirant sur le marron, me rappelant la boue collée à mes chaussures les jours de pluie. La moindre contrariété les obscurcit, faisant disparaître ma pupille pour se fondre avec mon iris. Je ne m'en rends pas compte, mais les Traqueurs eux sont formés pour repérer les gens comme moi. Connaissant ma faiblesse, je trouve plus judicieux d'éviter les Traqueurs autant que possible.

Je risquai un regard hors de la ruelle, en direction des Traqueurs. Leur visages, durs, étaient à demi cachés par des sortes de casques à visière. Je devinais leur regards froids, scrutant les civils, lisant dans leurs regards comme on écoute une confession, les perçant à jour. Mais les passants semblaient aussi détendus que j'étais paniquée, flânant dans la rue, riant. Suis-je la seule à être prise de sueur froide, mon cœur battant à tout rompre ?

« Emm', tu devrais rentrer, me chuchota Santa.

- Oui, tu as raison. »

C'est seulement maintenant que je me rendis compte que je n'avais pas lâché sa main. Je filai vite avant qu'il ne voit mes joues s'empourprer. J'arrivai à mon pavillon sans mauvaises rencontres, au pas de course. J'ouvris la porte, et une bonne odeur parvint à mes narines. Je parcourus le sombre corridor, et entrai dans le salon. Ma famille s'y trouvait déjà, mes parents ainsi que ma sœur May, en cercle autour du feu. Des brochettes de poissons étaient maintenues par des tréteaux au-dessus des flammes déchaînées. Dès qu'elle me vit, May se leva et me sauta dans les bras.

« Emm' ! Pourquoi tu es en retard ? ! dit-elle de sa petite voix guillerette.

- Les cours ont finit plus tard que prévu, répondis-je, tentant de faire sonner cette excuse comme la vérité. »

Je risquai un coup d'œil à mon père. Son regard accusateur, me transperça comme la lame d'un poignard.

« Allez, viens t'assoir, ordonna mon père. » Je m'exécutai en silence.

« Emily, as-tu croisé les Traqueurs en revenant ?

- Non, je ne les ai pas vus. » Encore un mensonge.

« Et bien il y a eu du changement. Les équipes de contrôle ont été renforcées. Les DDF envoient désormais leurs meilleurs généraux dans les îlots, nous informait mon père, d'un ton grave.

- Je ne vois pas pourquoi, surtout qu'à I-7 il ne se passe jamais grand-chose. La dernière arrestation remonte à plusieurs années.

- Je me suis posé la même question. Et bien figurez- vous qu'il y a dernièrement eu des soulèvements dans les îlots I-8 mais aussi I-6. Je n'en connais pas encore la raison.

- Comment es-tu au courant de ça, Papa ? L'interrogeai-je tout en connaissant déjà la réponse.

- J'ai entendu sans le vouloir, une conversation entre le Général des Traqueurs et l'un d'eux, dit-il sur un ton innocent. » Je savais qu'il mentait, il orientait toujours son regard vers le haut, légèrement sur la gauche, quand il mentait. De plus, je connais mon père, c'est une fouine dans l'âme. Une fouine douée, qui plus est. Il se débrouillait toujours pour obtenir les informations que personne n'avait le droit de détenir. Cependant, il prennait d'énormes risques. Il suivait les Traqueurs. De très près. Si ils s'en rendaient compte, son arrestation pourrait être immédiate. Cependant je ne dis rien face à son mensonge, sachant qu'il connaissait sans doute les miens.

« Surtout n'ébruitez pas ce que je vous ai dit, nous prévient-il. Il ne faut pas affoler les gens. La peur peut conduire à la colère. Faites bien attention aux Traqueurs. Ils seront sans pitié après ça et aux aguets. » Tout le monde opina.

« Le poisson est délicieux, Marcus, le félicita ma mère, essayant de détendre l'atmosphère. J'ai hâte que Emily nous rapporte d'aussi beaux poissons. Quand penses-tu commencer à travailler ? » Je soupirai en mon for intérieur. Ma famille avait toujours attendu de moi de devenir une Pêcheuse. Comme mon père, son père, le père de son père ... Mais ce n'est pas ce que je voulais. La défense de l'îlot était mon secteur de prédilection. Et non pas celui de la nutrition, bien que je reconnaisse son importance. Je m'apprêtais à protester, mais le regard insistant de mon père m'en dissuada.

« Je n'ai pas encore pris ma décision, Maman. J'ai besoin de réfléchir. De plus je ne peux pas arrêter l'école en milieu d'année.

- Mais, il n'y a nulle besoin de réfléchir. Nous t'autorisons à arrêter l'école quand tu le veux. Plus tôt tu travailleras, mieux ce sera ma chérie.

- Ah vraiment ? A quel âge as-tu commencé à travailler, rappelle moi ? Ah oui c'est vrai, tu n'as jamais travaillé. Alors je pense que tu n'es pas la mieux placée pour me parler de mon avenir professionnel. » Ca m'avait échappé. J'en avais marre qu'on me dise toujours quoi faire. Mon père me gifla.

« Je t'interdis de manquer de respect à ta mère. Sans elle tu n'aurais ni logis, ni vêtements, ni chaussures. Et qui t'aides à faire tes devoirs ? Qui prépare à manger ? Qui nettoie la maison ? Je doute que ce soit toi.


- En effet ce n'est pas moi et fort heureusement. J'espère que mon avenir ne ressemblera jamais à ça. » Vue la façon dont mes parents me fixaient, je devinais l'inquiétante couleur de mes yeux. Je me levai, gravis les escaliers à toute vitesse, puis m'enfermai dans ma chambre. J'attrapai mon miroir, l'approchait de mon visage. Mon teint pâle contrastait avec mes yeux, couleurs cendres. J'avais l'impression qu'une colère monstrueuse me dévorait de l'intérieur. Un simple éclat d'énervement se décuplait ensuite en moi une rage débordante. Le seul moyen de la canaliser était de me battre. C'est pour cette raison que l'entraînement au combat était vital pour moi. C'était le seul moment où je me sentais totalement sereine. Pendant cet instant précieux, mes yeux étaient aussi verts que l'herbe de mon jardin, et que les yeux pleins d'innocence de ma petite soeur . Devenir défenseuse de mon îlot m'apparaissait comme un idéal de vie, un fantasme inatteignable. Mais c'était différent maintenant. Ma survie en dépendait.

AvezeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant