Chapitre 3/Sauvage

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Iron - Woodkid : https://www.youtube.com/watch?v=vSkb0kDacjs

Je me réveillai à l'aube, les rayons du soleil s'engouffrait dans ma chambre à travers ma large fenêtre. Ainsi ma chambre était baignée d'une lumière paisible et chaleureuse. Je me tortillai pour tenter de sortir de mon sac de couchage bordeaux qui me protégeait difficilement du froid pendant les rudes hivers. Je secouai ensuite la paillasse sur laquelle je dormais, à même le sol. Le confort n'était pas à l'honneur en Aveze, et nous nous devions de mener une vie simple sans luxe ostentatoire ou plaisir matériel. Les maisons de mon îlot étaient construites en bois et en foin. Les toits de tuiles qui les surplombaient protégeaient leur intérieurs austères de la pluie mais pas du froid. L' ameublement était simple et seulement utilitaire. Les pièces étaient généralement peuplées de quelques tables et chaises, tenant compagnie à plusieurs armoires et éventuellement à un canapé pour les plus chanceux. L'électricité nous était délivré par la gouvernement, et n'était disponible qu'à certaines périodes. L'été elle était proscrite. Le soleil était suffisant pour chauffer et éclairer. L'hiver, elle était rationnée. Les beaux jours arrivaient, nous allions donc devoir nous contenter pendant plusieurs mois de cuisiner au feu de bois, présence agréable et chaleureuse.

Je n'avais pas le courage d'affronter mes parents, je partis donc une heure plus tôt que prévu, me faufilant hors de la maison par la fenêtre de ma chambre, après un rapide passage par la cuisine où j'emballai les restes d'hier soir ainsi qu'une pomme pour mon déjeuner. Je me rendis au port voir Santa pêcher avant d'aller au lycée. Il m'accueillit de son éternel et radieux sourire. Je lui racontai l'incident d'hier soir, ainsi que les propos alarmants de mon père. Ce dernier nous avait vivement demandé de ne pas les évoquer mais Santa excluait la règle. Ce qui me concernait le concernait aussi. Nous partagions tout. Ce n'était pas aujourd'hui que j'allais commencer à lui faire des cachotteries. Ma confiance envers lui était sans limites. Il ne parut pas surpris par la nouvelle des soulèvements.

« Je le sentais, confessa-t-il. Dans certains îlots dont je me suis approché en bateau, on sentait une certaine tension. Les marins l'ont tous remarqué : les Traqueurs ne sont pas aussi autoritaires et respectés qu'ici, ils ont peur des habitants. Il y a sans doute eu une révolte.

- Tu crois que ça pourrait arriver ici ? murmurai-je

- Je ne sais pas, on pourrait être surpris de ce que les gens sont capables de faire.

- Ce ne serait pas une bonne chose pour ce qui est de mon cas personnel. Si les habitants se révoltent, les Traqueurs se multiplieront et il me sera impossible d'éviter les contrôles. Et je sens que je perds petit à petit toute maîtrise de mes émotions ... J'ai peur.

- J'ai peut être une idée pour y remédier. Allez, suis-moi. »

Je le suivis au pas de course. Je pensais qu'il m'emmènerait à la salle d'entraînement mais je me trompais. Au croisement entre la rue piétonne menant à la salle recouverte d'un grand dôme de couleur grise métallique, et le sentier battu menant à la forêt, il s'arrêta net. Il vérifia que personne ne nous observait, puis tourna vers la forêt. La forêt était interdite aux habitants, excepté aux Chasseurs, qui y travaillent. Mais à cette heure matinale, ils n'étaient pas censés s'y trouver. Je le suivis jusqu'à arriver dans une sorte de fosse, peu profonde, encerclée d'arbres, éclairée par les rayons du soleil perçant entre le feuillage des chênes. J'observai le sol, légèrement humide après la rosée matinale. On pouvait nettement discerner des empreintes d'animal. Un animal assez robuste à en juger par leur taille. Je questionnai Santa du regard.

« Tu t'es déjà battue contre un animal ? me demanda-t-il en guise de réponse à mon interrogation.

- Euh non jamais, pourquoi ? Qu'est-ce que tu as derrière la tête ? Tu veux que je me batte contre un animal c'est ça ?dis-je sur le ton de la plaisanterie.

- Exactement. Tu sais te battre contre un homme. Pourquoi pas contre un animal ? La différence n'est pas si évidente.

- Et bien, les hommes n'ont pas des griffes et des crocs acérés, et ils sont capables de respecter des règles de combat.

- Attend, c'est moi ou tu as peur ? lança-t-il sur le ton du défi.

- Pas le moins du monde, répliquai-je en sortant ma dague.

- Je préfère ça. Bon, allons trouver notre loup.

- Un loup ? Je pensais que les Chasseurs les avaient mis hors d'état de nuire.

- Ça c'est ce qu'ils nous disent. Il suffit de regarder le sol pour comprendre qu'ils nous ont menti. »

Je sentis de la rancœur dans sa voix, mais aussi de la jalousie. Santa avait toujours voulu devenir Chasseur. Mais comme pour moi, sa famille en avaiy décidé autrement. Et il leur doit en quelque sorte la vie, donc il n'a pas pu leur refuser. Santa est une personne altruiste et reconnaissante, il n'oserait pas décevoir ses parents adoptifs.Il se décevrait alors lui même. Ce qui selon moi est bien pire.

Soudain, un hurlement retentit. C'était le cri aigüe d'une fillette. Il semblait venir de ma droite. Je n'hésitai pas : je sautai dans la fausse à pied joint, la traversa, mes pieds s'enfonçant dans la terre humide, Santa sur mes talons. Puis j'entrepris d'escalader la paroi, peu haute mais raide, me séparant de l'accès au reste de la forêt. Je m'agrippais aux racines des arbres, aux pierres. En quelques minutes j'étais en haut. Je jetai un coup d'œil derrière mon épaule, pour vérifier que Santa avait réussi à escalader lui aussi. Il sortit de la fosse quelques secondes plus tard. Mes jambes réagirent d'elles mêmes à l'appel désespéré de la petite fille : je courus de toutes mes forces. Les branches des arbres me griffaient le visage et m'aveuglaient. Plusieurs cris retentirent à la suite. Je me rapprochais de la source du bruit. Enfin, je déboulai sur une clairière aux herbes hautes. Je distinguais des mouvements sur ma droite. Je pointai du doigt l'endroit à Santa, puis lui fis signe de se taire. Je me rapprochai lentement. Je voyais maintenant distinctement un homme, avachis, regardant avec perversité quelque chose au sol. Une petite fille. C'était May.

Une fureur comme je n'en ai jamais ressenti s'empara de moi. Même Santa recula en me voyant. Je me jetai sur l'homme avec un cri de bête sauvage, ma dague en main. Mon cœur battait si fort que j'avais l'impression qu'il allait s'extirper de ma poitrine. Je lui décochai un coup de pied dans le ventre, l'obligeant à se courber. Puis j'agrippai son crâne avec une main, et remontai mon genou d'un coup sec. J'entendis le craquement des os de son nez lorsqu'il percuta mon genou. L'homme lâcha un cris de douleur, se confondant avec les cris d'horreur de ma soeur recroquevillée derrière moi. Malgré sa souffrance évidente, l'homme se redressa. Puis, avec une vitesse qui me pris au dépourvus, il me saisit les jambes, et me plaqua au sol. Je vis dans ma chute Santa tenir May à l'écart et je fus soulagée. Je reportai mon attention sur l'agresseur. Son visage, traversé par une large cicatrice, me parût étrangement familier. Il leva son poing. Je parvins à bloquer son premier coup, mais le deuxième m'atteignit de plein fouet, à la joue. La douleur me réveilla, je parvins à dégager mon bras de son emprise, et enfonçai mon poignard dans son ventre. Je vis un sourire narquois se dessiner sur son visage. Qu'est-ce qui pouvait bien le faire sourire ? Je le fis rouler sur le côté et me relevai. Je m'apprêtais à rejoindre May et Santa quelques mètres plus loin, mais l'image cauchemardesque qui se dessinait devant mes yeux me paralysa. Une dizaine de Traqueurs arrivait au pas de course, armés. Ils formaient une ligne parfaite, prêts à m'encercler dans quelques secondes. Les pistolets à impulsion électriques et les lourdes matraques qui pendaient de leur ceintures cliquetaient à chaque foulée contre leurs jambes musclés en mouvement. Leurs uniformes reluisant faisaient de parfaits miroirs, reflétant pendant une seconde la couleur de mes yeux. Noirs. Comme à mon habitude, je plongeai mon regard paniqué dans les yeux apaisant de Santa. Mais cette fois-ci, je n'y vis que la sombre marque de la peur.Un bourdonnement sourd aveugla mon ouïe, m'empêchant d'entendre quoi que ce soit. La bouche de Santa semblait bouger au ralenti. Le mot "cours" prit forme sur ses lèvres charnues. Je jetai un dernier regard à May puis je détalai.

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