Chapitre 5/Rebelle

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Kiki's Delivery Service - Umi No Mieru Machi : https://www.youtube.com/watch?v=4k8M87t7E-U

Courir la nuit. Dormir le jour.

Voilà comment je passai les 6 jours suivant mon départ de I-7. Je n'avais aucun problème pour m'hydrater, je restais sur la Pacerelle, j'avais donc de l'eau à disposition. Cependant, la nécessité de me nourrir devenait plus qu'urgente. Mon estomac criait famine et mon corps me le faisait sentir. Mes muscles, endoloris par les heures de courses, me tiraillaient constamment et les crampes devenaient incessantes. Je résistais de moins en moins au froid des nuits et la fatigue me gagnait. Ce fût donc avec soulagement que j'aperçus I-8, à l'aube du 7e jour. A première vue, cet îlot me parût tout à fait similaire à I-7 : vert, organisé, accueillant. Cependant, je m'aperçus avec étonnement qu'aucun Garde de Nuit n'était présent pour surveiller la Pacerelle et ses alentours. Ca me faciliterai la tâche, mais je trouvais ça très étrange. Je décidai de m'aventurer dans les rues, elles aussi pavées de façon parfaitement régulière. En y regardant de plus près, je remarquai des signes de pauvreté évidents : maisons mal-entretenues, déchets au sol, puanteur, chat squelettiques et errants. Cette misère ne m'étonnait pas : I-8 est le dernier îlot de notre Etat circulaire, avec I-1 à sa gauche. I-1 est l'îlot maître, centre de contrôle et de richesse, résidence exclusive des DDF. A mesure que l'on s'éloigne d'I-1, mathématiquement parlant, les ressources se font plus rares, la propreté moins surveillée et la sécurité moins assurée. I-8 est donc l'îlot particulièrement touché par la pauvreté et le pénurie de ressources. Ayant vécu à I-7, j'ai vécu dans une situation plutôt précaire, mais c'est la seule chose que j'ai connu, je ne m'en suis donc jamais plains. Mes pieds nus foulant les pavés me permettaient une discrétion inespérée. Je me sentais tel un chat, dont les coussinets amortissent chaque pas, chaque bond, les rendant aussi silencieux qu'agile. Pour l'instant, pas l'ombre d'un Traqueurs. De plus en plus étrange. Je passai devant un batiment délabré; quand, à travers la vitre rendue presque opaque par le temps et la crasse, j'aperçus une paire d'œil qui me fixait. Deux yeux noirs. Je crus d'abord que ce n'était que le reflet de mes propres yeux, mais en m'attardant, je pu affirmer que ce n'était pas le cas. C'étaient de grands yeux, dont l'expression trahissait innocence et la panique. Ils avaient l'air d'appartenir à un enfant. Je laissai ma curiosité prendre le dessus et j'ouvris la porte avec précaution. Il régnait dans cet endroit une ambiance lugubre, accentuée par une puanteur irrespirable, comme un mélange de corps carbonisé et de pourriture. Je déchirai ma tunique, en lambeaux, et me couvrais le nez avec le bout de tissu. La pièce, unique, était sombre, et je parvenais seulement à distinguer tables recouvertes de poussières. Une présence humaine autre que la mienne dans cette pièce était perceptible. J'entendis un bruit sourd. Il provenait de ma droite. Je tournais furtivement la tête, et je le vis. Un petit garçon se tenait dans l'entrebaillement d'une porte. Il paraissait anormalement frêle dans ses haillons, ses cheveux étaient crasseux et ses joues creuses recouvertes par ce qui m'a semblé de la suie. Malgré toute la misère qui semblait pesé sur lui, son visage avait gardé les traits de l'innocence et de la jeunesse. Ses yeux, d'un noir intense, étaient envoutants, profonds. Ma méfiance s'envola comme la plus légère des plumes portée par la brise.

<< <<Qu'est-ce que tu fais là tout seul ? lui demandai-je sur un ton que je voulais chaleureux.>>

Il ne me répondit pas. Je m'approchai lentement de lui en me baissant pour paraître moins imposante.

<<N'ai pas peur. Je ne vais rien te faire. Je veux juste t'aider. Tu as besoin d'aide ? insistais-je. >>

Il resta muet. Mais il pointa son maigre bras vers moi, me regarda avec insistance puis se retourna et disparut derrière la porte de bois peint, égayé par d'amusants dessins d'enfants. J'avançai avec hésitation, abaissai la poignée, puis m'engouffrai dans la ribambelle de marche qui se dessinait alors devant moi. J'entendais à peine les pas du jeune garçon sur les marches de béton et il m'était impossible de le voir faute de lumière. Les escaliers se terminaient sur un long corridor, étroit, étouffant. Enfin, l'enfant arriva en face d'une imposante pierre, d'environ 3 m de hauteur. Il tapa 5 fois dessus, semblant suivre un rythme bien précis. Au bout de quelques secondes, la pierre se mit à bouger, coulissant par à-coups vers la droite, révélant une étroite pièce. S'y entassait une centaine d'hommes, de femmes et enfants. Ils étaient tous en piteux états, maigres et sales. Mais une autre chose me frappa à la seconde et où leurs regards se posèrent sur moi. La couleur de leurs yeux. Ils avaient tous les yeux noirs. C'est à ce moment que je me demandai de quelle couleur étaient les miens. En théorie, ils devraient être teintés de verts, je me sentais plutôt sereine malgré le pic d'anxiété qui me traversa en découvrant cette scène. Un homme se leva, et se dirigea vers moi. C'était le plus robuste, il était imposant et inspirait le respect.

<< Bonjour, Etrangère. Je te souhaite la bienvenue parmi nous. Puis-je te demander ton nom ?

- Emm. On m'appelle Emm.

- D'où viens-tu ?

- I-5>>

Je ne pouvais pas lui donner le numéro de mon îlot. Peut-être les Traqueurs avaient-ils alerté les îlots alentours de l'existence d'une fugueuse. Peut-être étais-je recherchée ?

- Je ne te demanderai pas comment tu es arrivée ici ni pourquoi tu t'es enfuie, cela ne me regarde en aucun cas. Ce qui compte est plutôt : que fais-tu dans notre abri ?

- Je suis rentrée dans la librairie par curiosité et un petit garçon m'a conduite jusqu'à vous. Excusez moi mais, qui êtes-vous ?

- Ah, je ne me suis pas présenté. Je suis Marco. Je suis le leader de notre groupe. Peut-être as-tu entendu parler de nous, nous nous faisons appeler les Rebelles. Nous nous cachons ici, depuis le renforcement du contrôle des Traqueurs.

- Mon père m'a parlé de soulèvements dans certains îlots. C'était vous ?

- En effet. Mais je ne peux pas t'en dire plus, nous n'accordons pas notre confiance à n'importe qui. Mais nous pouvons t'accueillir si tu le souhaites, à condition de respecter certaines règles.

- J'accepte. Je n'ai nulle part où aller de toute façon.

- Dans ce cas bienvenue parmi nous. Il faut que tu saches que la vie des Rebelles est rude et notre lendemain n'est jamais assuré. Je ne peux affirmer que tu sois capable de survivre plus d'une semaine.

- J'ai plus de chance de survivre avec vous qu'en errant seule dehors.

- Tu m'as l'air déterminée. J'espère que tu te plairas ici. As-tu faim ou soif ?

- Je suis affamée, oui.

- Dren ! Viens ici. >>

Je vis un jeune homme se lever. Il était grand et sec. Son visage anguleux, était écorché au niveau de sa mâchoire carrée, et une cicatrice rectiligne marquait sa haute pommette gauche. Ses yeux, cendrés, me fixaient, me transperçant, tels les rayons du soleil à travers une vitre. Je détournais les yeux avant que mes joues ne s'empourprent. Il avança vers moi, d'une démarche nonchalante.

<< Je m'appelle Dren. Comment est-ce que je dois t'appeler ? me demanda-t-il d'une voix grave et légèrement cassée.

- Emm, dis-je d'un ton que je voulais assuré.

- Suis-moi. >>

Je m'exécutai. Dren se dirigea vers les escaliers que j'avais emprunté quelques minutes plus tôt. Il déplaça la grosse pierre avec une facilité déconcertante. Il remonta les escaliers au pas de course, traversa les rangées de bibliothèques, puis sortit. Les rues étaient toujours désertes.

<< Où sont les habitants ?

- Ils sont cachés chez eux. Ils ont peur.

- De qui ? Des Traqueurs ?

- Les Traqueurs ? Oui mais pas seulement. Ils nous redoutent aussi.

- Vous ? Mais pourquoi ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ici ? >>

Soudain, il me couvrit la bouche d'une main, et m'agrippa le cou de l'autre, m'entraînant dans une ruelle. Je me débattis d'abord. Puis il lâcha prise, me tourna vers lui, et plongea son regard dans le mien. Et j'entendis sa voix. Dans ma tête. Ses lèvres pleines et rosées ne bougeaient pas, mais je pouvais l'entendre distinctement : << Traqueurs. Cours. >>. Je hochai la tête, puis il partit en courant, moi sur ses talons. On s'enfonçait dans le cœur de la ville, de ruelles en ruelles, rasant les murs. Il courait vite, trop vite. Mon cœur battait la chamade, mes jambes me tiraillaient, menaçant de me lâcher à tout moment. Enfin, il s'arrêta, devant un haut immeuble, sans porte. Il ouvrit une des fenêtres, puis se faufila à l'intérieur avec agilité. Je me jetai dans la pièce, me réceptionnant tant bien que mal sur mes pieds. Il ouvrit une trappe qui se trouvait sous une des planches du parquet, dans un coin. Il sauta sans hésiter, puis me cria de le rejoindre. Je tentai de ne pas penser au grand trou noir qui se trouvait à mes pieds et je m'élançai. Un désagréable frisson me traversa l'échine quand mes pieds heurtèrent la surface du sol. Ma tête commença à tourner, et mes jambes se dérobèrent sous mon poids. Mon crâne se fracassa contre le sol. Le visage de Dren se profila devant mes yeux, penché sur moi, le noir de ces yeux envahissant peu à peu ma vision. Puis plus rien.

AvezeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant