Chapitre 8/ Bingo !

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We Come Running - Yougblood Hawke : https://www.youtube.com/watch?v=5AFozUUm26Q


« Bonjour à tous, j'ai une annonce importante à faire. Il y a quelques semaines de ça, j'ai envoyé un Rebelle en tant que messager au Centre N pour leur proposer notre aide, et les dirigeants ont accepté. Ils ont demandé 3 Rebelles pour participer à la mission mise en place. Je ne peux pas vous en dire plus, mais sachez que quelque chose se prépare, et que tout va changer. »

Je regardai tous ces visages autour de moi, et y vis une lueur d'espoir apparaître. Depuis des semaines, nous voyions le nombre de patrouilles des Traqueurs redoubler. Il nous était devenu difficile de sortir et les réserves d'eau et de nourriture se faisaient rares. Nous avions perdu un nouveau-né, la veille de l'annonce de Marco, mort de froid. L'hiver nous guettait, et si nous ne trouvions pas un moyen de nous chauffer, nos chances de survie deviendraient quasi-nulles. L'idée d'un changement n'était que trop bien accueillie.

« Alors, qui est volontaire ? » Un silence de plomb s'installa parmi nous. Je ne voyais aucune main se lever. Tout le monde était affaibli par le froid et la faim, et visiblement effrayé. Effrayé, je l'étais aussi. Mais je ne suis pas du genre à réfléchir pendant des heures avant de prendre une décision. Je levai la main.

« Emm ? Es-tu sûre de ton choix ? Tu n'as aucune idée de ce qui t'attend là-bas.

-Je sais, mais ce n'est pas en se cachant ici indéfiniment que les choses changeront. Il faut agir.

-Bien dit. Dren ! Toi aussi tu es partant ? »

Je n'avais pas vu sa main se lever. Depuis le jour de mon arrivée jusqu'à aujourd'hui, on ne s'était parlé que brièvement, lors de missions collectives. Je n'avais jamais été assignée à une tâche m'imposant d'être seule avec lui. J'étais toujours gênée à cause de ce qui s'était passé dans la cave. Je pouvais encore sentir mes joues à vif.

« Sans les Rebelles et leur accueil, je serais déjà mort depuis longtemps. Ils m'ont permis de vivre. Je risquerai sans hésiter ma vie pour leur cause.

-C'est un sacrifice honorable. Il nous faut un dernier volontaire. »

Enfin, la dernière main se leva. C'était celle d'une jeune fille, d'à peu près mon âge ou un peu plus vieille. Elle était magnifique : des lèvres bien dessinées et de grands cils déployés, un nez fin en harmonie avec son visage allongé.

« Bien. Nous avons nos 3 volontaires. Merci à Emm, Dren et Sara pour leur dévouement et leur grand courage. Quant à vous autres, j'ai le plaisir de vous annoncer que j'ai trouvé un abri à l'est de la ville, plus grand qu'ici, avec une immense cheminée capable de chauffer une colonie. Je projette de nous y conduire dans les prochains jours. »

Des cris de joie, des applaudissements et des rires remplacèrent immédiatement le silence devenu quotidien. Je me joignis aux autres dans leur enthousiasme même si je savais que je ne me rendrais pas dans ce nouvel abri avec eux. Je ne pus réprimer la mélancolie qui s'immisçait en moi : j'allais devoir quitter les gens que j'aime, encore. Quitter I-7 fût l'épreuve la plus éprouvante de ma vie, autant physiquement qu'émotionnellement. Lorsque j'avais pris conscience du fait que plus jamais je ne verrai ma famille ou Santa, j'avais senti mon être tout entier se briser de l'intérieur, comme une vitre aux morceaux éparpillés suite à l'impact d'une pierre. C'était comme si ces morceaux aiguisés s'étaient enfoncés dans ma chair, provoquant une douleur aussi insupportable qu'immatérielle. Mon estomac se serrait déjà à l'idée de revivre cet enfer. Je jetai un coup d'œil à Dren : je le trouvai souriant, plaisantant avec un dénommé Luc. Il ne semblait pas le moins du monde perturbé par son départ imminent. Je tentai de faire de même. J'allai rejoindre Tino, à qui je m'étais vraiment attachée. Presque chaque soir, je venais m'allonger à côté de lui, et je lui racontais la légende des Pêcheurs de I-7. C'est une vieille histoire de mon îlot, que mon père m'a souvent racontée et racontait encore à ma sœur à l'époque de mon départ. Elle date du temps des DF, lorsqu'ils sortirent de leur bunker, et qu'ils découvrirent la terre inondée. Ils construisirent un immense radeau avec les troncs des quelques arbres qu'ils purent trouver, et ils naviguèrent, pendant des jours, sans rien voir à l'horizon. Après une semaine, ils allaient perdre espoir, se rendant à l'évidence : il n'y avait plus personne, plus rien sur Terre. Mais un petit garçon qui s'était caché clandestinement avec eux, leur dit de tenir bon, il affirma avoir eu une vision, la vision d'une vie remplie de paix et d'amour où les hommes seraient regroupés sur des îlots en communauté. Au début, personne ne le prit au sérieux, « ce n'est qu'un mioche perturbé » disait-on. Mais le jour suivant, les DF découvrirent le premier îlot, qui confirmait la description de l'enfant. On le considéra comme un génie, et on raconte même qu'il serait l'inventeur de La Modification Génétique. J'ai toujours aimé cette histoire, qui me faisait rêver : même en étant enfant, on était capable de faire de grandes choses. J'avais senti dès le premier jour que Tino avait besoin d'attention et d'espoir. Lui raconter ce conte était devenu un rituel pour nous. Il allait me manquer. Je lui caressais les cheveux d'un geste régulier, presque naturel, oubliant pendant un court instant que cette chevelure brune était celle de Tino, pour la remplacer par celle de May. Je me représentais sa bouille traversée par un large sourire contagieux. Mais le cri d'horreur qu'elle avait poussé lors de son agression me hantait, revenait sans cesse heurter mes tympans, les traversant malgré mes efforts pour l'en empêcher.

AvezeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant